L'INDICATEUR N°3



Les fenêtres de temps : Troisième partie
La question du Vivant (suite) : Structure des chants

LES FENÊTRES DE TEMPS (3)

Nous avons coutume de lire, et d’entendre, que l’oiseau vit au présent de l’indicatif : l’instant présent, ici et maintenant. Nous entendons aussi souvent dire que chez l’animal, la conscience du temps existe peu… Cela reviendrait à dire : peu ou pas de mémoire, peu de projets, juste des automatismes. Ceci jusqu’à affirmer que la mémoire du poisson n’excéderait pas deux secondes alors que certains pachydermes auraient une mémoire d’éléphant ! Le discours varie donc d’une espèce à l’autre.

Alors, pour l’oiseau, pas de passé des expériences vécues au présent? Pas de projections dans l’avenir ? Pas de comparaisons du présent aux expériences vécues ? Pas de futur non plus ? Si ce n’est de répondre à la pression de nécessités inscrites dans un programme génétique, lui-même inscrit dans la durée et l’avenir, mais toujours vécu au présent ?

Le chant de l’oiseau me semble, au moins partiellement, jeter un certain doute sur toutes ces affirmations.

Si je m’intéresse aux cris d’alarmes, fonctionnels et souvent brefs, la question du temps ne se pose pas pour moi. Le cri d’alarme s’inscrit dans l’activité au présent, comme réponse aux problématiques posées par l’instant présent. De plus, la brièveté du cri d’alarme ne nous permet pas de considérer une forme sonore développée dans le temps, mais plutôt un “événement sonore”, un point dans l’espace-temps.

Le Merle noir Turdus merula

merle-noir-copie

L’oiseau chante perché, en position visible, de longues séquences très variées et sonores.

Chacune de ces alarmes correspond à une situation précise, nous décrirons cela dans un prochain numéro de l’INDICATEUR.

Avec le chant, en revanche, très développé chez les passereaux, nous pénétrons un autre domaine, bien plus riche et complexe. Des phrases, constituées de motifs, forment une séquence pouvant durer une vingtaine de minutes. Nous rencontrons, dans ces séquences chantées, certaines notions appartenant au domaine de la musique : la répétition bien sûr, mais aussi la variation, le développement, l’alternance de motifs souvent complexes, c’est-à-dire une grande quantité d’éléments sonores ne prenant de valeur que dans leur agencement temporel. (La répétions ou reprise, la variation ou séries de variations sur un thème, les développements d’un thème ou d’une idée, l’alternance de couplets et refrains dite encore rondo : tout langage musical repose, dans toutes les cultures, sur ces notions fondamentales.)

Il y a quelque chose de discursif dans le chant de l’oiseau, alors que beaucoup s’accordent à penser que dans cette manifestation sonore, il n’y a qu’une improvisation aléatoire ou la répétition d'une simple “signature sonore”. Ce qui n’exclue pas une certaine fonctionnalité, située à un autre niveau : marquage acoustique de territoire par exemple. Mais tout discours est une organisation dans le temps ! (Comprenons-nous bien, un discours purement musical est concevable même s’il ne véhicule pas un message argumenté. Par exemple une symphonie de Mozart est jugée très expressive, alors que souvent elle n’exprime précisément rien si ce n’est elle-même, c’est-à-dire la qualité de sa construction !) Or pour que cette organisation voit le jour, et soit un jour audible par d’autres, il faut, chez son interprète, une forme de maîtrise du temps.

Que signifie donc “maîtrise du temps” en musique ?

Sans doute une certaine capacité à organiser une forme, un déroulement, une trajectoire ou plus exactement un moment sonore comportant au moins un début, un centre et une fin, c’est-à-dire, en d’autres termes, un passé, un présent et un futur. Une stratégie de communication, qu’elle soit musicale ou prosaïque, nécessite une maîtrise du temps : l’orateur sait d’où il vient, et à l’instant présent, sait presque parfaitement où il veut nous rendre.

Les formes “à variation perpétuelles”, ou à “développement cycliques” telle qu’on les observe chez l’Alouette des champs par exemple, complexifient encore ma démonstration… puisqu’elles ne semblent pas comporter de forme d’ensemble mais plutôt une suite de variations établies à partir d’une riche bibliothèque de motifs dans laquelle l’oiseau puise perpétuellement. Le thème n’est pas présenté pour se prêter à des développements par la suite, il est omniprésent dans le caractère du chant de l’oiseau (nous approchons là des formes cycliques chères à César Franck).

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Le chant de l’Alouette des champs comme modèle de variation perpétuelle.

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Ici l’oiseau chante en vol, si haut qu’il est à peine visible, il est facile de remarquer que nombre de motifs sont répétés quasiment à l’identique, un nombre irrégulier de fois. L’énergie sonore est très importante et le chant porte sur de grandes distances. Une séquence de chant peut durer plus de vingt minutes

Bien que ralenti de deux octave (quatre fois plus long) nous constatons que l'oiseau nous fait encore entendre des motifs d'une extrême rapidité chantés avec une véritable maitrise des nuances piano/forte. De même nous restons fascinés par la qualité du “détaché” pour employer un autre terme musical.

Enfin nous sommes admiratifs devant les capacités respiratoires de l'oiseau!

à suivre...

Chaque numéro de L'INDICATEUR accorde en pied de page un espace à la présentation du travail d'un audio-naturaliste remarquable.

Aujourd'hui : Boris Jollivet

Intro
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Jura, janvier, - 22° C. Les lacs sont figés, entièrement pris par la glace.

Tout semble réuni pour vivre un silence absolu et pourtant, comme une révélation, des voix inédites explosent, résonnent.

Depuis plus de vingt ans, Boris Jollivet explore ce phénomène sonore étonnant.

À travers ce court-métrage, il nous embarque dans les couches de glace et dévoile un univers inédit.

Un trésor menacé.

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