L'INDICATEUR N°4



Les fenêtres de temps : Quatrième partie
La question du Vivant (suite et fin) : Le discours musical

LES FENÊTRES DE TEMPS (4)

Il est possible que l’oiseau à la fin de son chant ne se souvienne déjà plus ce qu’il a chanté et si même il a chanté. Mais au moment même où il pratiquait son art, il maîtrisait la forme et son déploiement dans le temps. Cette fenêtre de maîtrise, si ce n’est de conscience, n’est certainement pas très large, peut-être même ne possède-t-elle comme largeur que la simple durée d’une phrase, mais cette fenêtre existe, et se manifeste à nous. Or nous savons et avons vérifié que l’échelle des temps et des durées varie en fonction du format des corps sonores. Aussi la fenêtre étroite pour notre oreille est-elle sans doute considérablement plus large pour l’oiseau lui-même. En tout cas, elle lui est suffisante pour l’exercice de son art.

Le chant du Troglodyte mignon troglodites troglodytes

un modèle de construction répétitive

troglodytes

Voici un petit tableau pour éclaircir les effets du ralentissement des chants :

tableau variations de vitesse leger

Chez les pinsons, les bruants... tout me laisse à penser que cette organisation temporelle fait appel à une très brève maîtrise du temps qui passe. L’oiseau se contente de répéter perpétuellement la même phrase de quelques secondes, avec des variantes, certes, mais ne prouvant en rien que telle variation se réfère à la précédente. Des mauvais esprits diraient peut-être qu’il est incapable de répéter la même chose de manière correcte. Je rétorque à cela que je connais des troglodytes capables de répéter indéfiniment la même phrase de 156 notes pendant une journée complète, toutes les 10 secondes, sans détonner d’un coma ! Mais c’est une autre histoire.

L'Alouette lulu lulula arborea : un modèle de “permanence variation”

LULU

Ici, l’oiseau chante perché, mais chante souvent en vol, de jour comme de nuit, quasiment de la même manière. Elle semble se répéter mais une écoute attentive nous prouve le contraire.

Enfin, lorsqu’il s’agit des chants des turdidés (les merles, les grives, voire les rossignols), la question de la fenêtre temporelle se pose avec plus d’urgence. Nous entrons là dans des organisations sonores capables de nous proposer des programmes variés, de plus de 20 minutes. (Durée qui, élargie à notre propre échelle, représente un temps considérable). Certes pas de grandes formes générales conduites autour de grands crescendi ni de ré-expositions qui sont chez nous le propre des constructions dramatiques, mais une variation à l’infini de phrases elles-mêmes construites à partir de motifs savamment imbriqués dont il paraît certain que si la logique nous échappe encore, elles ne sont pas le fruit d’un pur hasard. Les variations du Rossignol philomèle, par exemple, sont dosées de manière à faire entendre, sur une période donnée, tous les éléments constitutifs de l’identité sonore de l’espèce mais aussi de l’individu. Un véritable hasard, lui, nous proposerait, à certains moments, la répétition pure et simple de certains motifs, comme le lecteur de CD est capable de nous rejouer 3 fois la même plage quand on le programme sur la touche “random”. Le rossignol, loin d’être une machine, nous propose quant à lui un grand modèle d’équilibre, nécessitant cependant une certaine durée pour être apprécié. Ici, je me pose la question de l’élargissement de cette fenêtre au format non plus de la phrase mais celui de la séquence… Rappelons que la séquence étant, chez l’oiseau, l’assemblage de plusieurs phrases, (un peu comme nous concevons nos paragraphes ou nos chapitres). Elle représente un moment relativement long et ininterrompu de chant.

Les passereaux, oiseaux chanteurs apparus plus récemment que les autres oiseaux, passent pour plus développés sur le plan de l’intelligence. Leur capacité à chanter serait-elle liée à un “développement intellectuel” permettant une plus grande maîtrise du temps ? Cela reste à vérifier lorsque l’on considère que le sommet de l’intelligence aviaire est l’apanage de corvidés au premier rang desquels se placent le Grand corbeau et les corneilles… Or celles-ci ne chantent quasiment pas. En revanche leur vocabulaire de cris semble de loin le plus riche, plus d'une centaine de cris d'alarmes recensés chez la Corneille d'Amérique…

Mais beaucoup s’accordent aussi à dire que Mozart n’était pas, lui non plus, d’une fulgurante intelligence…

L’essentiel de l’analyse du chant débute à la douzième minute de cette longue vidéo consacrée à la Composition Ornithologique, réalisée par Patrick Kersalé pour la chaîne Geozik

Laissons le mot de la fin à Francis Hallé qui aborde, lui aussi, les questions de vitesse et de temps dans son ouvrage ÉLOGE DE LA PLANTE:

Dire que les plantes sont immobiles procède d'un anthropocentrisme qui nous empêche de voir au-delà de notre échelle de temps habituelle. C'est aussi bête que l'histoire des pucerons: "De mémoire de puceron, disent les pucerons, on n'a jamais vu mourrir un jardiner. Tout le monde sait cela, un jardiner, c'est immortel.”

Chaque numéro de L'INDICATEUR accorde en pied de page un espace à la présentation du travail d'un audio-naturaliste remarquable.

Aujourd'hui : Yannick Dauby

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Bien le bonjour depuis les humides collines de Taipei, à Taiwan.

Quelques nouvelles en vrac:

- L'été dernier, j'ai enregistré dans les souterrains militaires de l'île de Matsu, un site assez particulier pour des raisons historiques, à proximité de la Chine. Cela a donné cette vidéo :
https://vimeo.com/446176346

- Toujours durant l'été 2020, je me suis rendu pour la quatrième fois dans les récifs coralliens de l'archipel de Penghu pour enregistrer sous la surface. Malheureusement, les nouvelles sont extrêmement mauvaises : la température a soudainement augmenté, une large partie des coraux ont blanchis, puis sont morts durant l'automne...
J'avais écris ce petit compte-rendu il y a deux ans à propos de ces activités marines :
http://www.kalerne.net/yannickdauby/2019/05/20/penghu-experimental-sound-studio-report-2018/

- Restons autour de ces îles de Penghu, j'ai mis en ligne une composition inédite qui assemble des prises de sons, des lectures et des sonorités électroniques. Une sorte d'oracle inspiré de la musisque Nanguan :
https://kalerne.bandcamp.com/album/dit-lip-hue-hng

- J'ai essayé récemment d'enregistrer quelque chose de très discret : la photosynthèse d'un récif d'algue corallinales (algues calcaires qui forment une croûte), sur un site menacé par une zone industrielle. Je ne suis pas encore convaincu, mais je suis sur une piste... Depuis des années, je recontre des plantes aquatiques qui font un raffut de tous les diables. Ici quelques sons en eau douce (mais j'ai aussi entendu cela en eau de mer) :
https://kalerne.bandcamp.com/album/freshwater-organisms-from-taiwan

- Revenons sur la terre ferme. Après six ans d'attente, mon petit livre-CD "Fushan & Taipingshan" à propos des forêts de Yilan (montagnes de basse et moyenne altitude du nord-est de Taiwan, voir ci-dessous) est parti chez l'imprimeur. Un mélange d'écoute de la faune (dûment identifiée) et de réflexions-rencontres. Plus d'informations, courant janvier sur mon site internet...

Fushan 1
Taipingshan 1

Yannick Dauby 澎葉生
www.kalerne.net

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