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Désormais il vous est possible de consulter ou de télécharger tous les numéros précédents de L'INDICATEUR.
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Pour cela rendez vous sur le site, à la page INDICATEUR, consultez la liste figurant en pied de page et cliquez sur le numéro vert correspondant en fin de ligne
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Cet oiseau, le plus souvent sédentaire, très mobile, se rencontre dans presque toute l'Europe, dans les campagnes cultivées, les vergers ou tout près des habitations. Il est exclusivement granivore et recherche en priorité les graines de chardon (ce qui lui vaut son nom : Carduelis carduelis) mais aussi les graines de bardanes, de bouleau, d’aulnes, de pins...
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Nous allons aussi vérifier que ce grand chanteur tient une place importante non seulement dans l’histoire de la musique, mais aussi que son élégance lui vaut une place de choix dans l’histoire de l’art et plus particulièrement en peinture.
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Dans l’ensemble de cet article, chaque photographie du Chardonneret permet d’entendre un exemple sonore ou une composition musicale.
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Le chant du Chardonneret élégant, émis en solo, perché, ou en groupe très sonores, est principalement constitué d’une seule phrase très typée (dont la durée est très variable) qui se prêtant à̀ de très nombreuses variations. Le timbre est très clair et sonore, les mélodies aigues sont chantées de manière énergique et très détachée avec une grande variété de rythmes et de trilles.
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Chant d’un soliste Chardonneret
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Avant de nous plonger dans les musiques des hommes inspirées par l’oiseau, laissons Jérôme Sueur nous présenter ce virtuose aux multiples dialectes, dans l’une de ces chroniques de La Terre au Carré en cliquant tout simplement sur l’image.
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LE CHARDONNERET DANS LA MUSIQUE
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Concerto opus 10 N°3 pour flûte
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Le Chardonneret d’Antonio Vivaldi.
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On a souvent prétendu que la musique de Vivaldi était descriptive voire figurative, ce qui est relativement vrai pour les Quatre saisons par exemple qui sont-elles même une sorte de transposition musicale d’un texte poétique. Et c’est davantage le cas avec cette pièce pour flûte et orchestre à cordes dans laquelle la cadence (partie soliste réservée à la flûte) semble avoir été prise sous dictée.
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Avec le renouveau des musiques baroques, accompagné d’études musicologiques approfondies et un retour aux instruments d’époque se manifeste une grande présence de l’oiseau dans l’œuvre de Vivaldi. Parmi les très nombreuses interprétations disponibles sur le Net ou en éditions discographiques il me semble préférable d’écouter ce mouvement interprété avec une grande justesse d’esprit par l’ensemble Matheus dirigé par Jean Christophe Spinosi avec Sébastian Marq (à la flûte à bec plutôt qu’à la flûte traversière), pour le jeu léger, détaché, précis et incisif propre au chant de l’oiseau.
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Pièce tirée du Miroir des Oiseaux de Bernard Fort
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Curieuse rencontre quelle celle du Chardonneret élégant avec cet enregistrement d’une improvisation pour orgue et dispositif électroacoustique dans une église ! Un rapprochement qui s’imposait, tant il me semble que l’improvisation de l’organiste semble répondre, mot pour mot, au chant de l’oiseau. Pourtant près de trente ans séparent l’enregistrement instrumental de la captation du Chardonneret élégant un matin de mai sur l’île d’Elbe !
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La séquence pour orgue est tirée d’une improvisation de Philippe Lefebvre (titulaire des grands orgues de Notre Dame de Paris) sur un dispositif de réinjection tel qu’il se pratiquait autrefois sur le matériel analogique : trois magnétophones lisent l’enregistrement de l’orgue et créent ainsi une gigantesque chambre d’écho permettant aussi de spatialiser le son aux quatre coins de la petite église. Les microphones peuvent ré enregistrer le résultat à l’infini et l’instrumentiste joue avec lui-même et l’espace du lieu sous la forme d’une improvisation. Cette improvisation a été enregistrée en 1980 dans l’église des Carroz d’Arâches
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Trente ans plus tard, une intuition m’invite à mettre en présence le détaché de l’organiste et celui de l’oiseau, de confronter ces deux énergies dans un élan de bonne humeur propre à l’esprit du chant du Chardonneret élégant. Cette pièce termine le recueil intitulé Le Miroir des oiseaux, et se retrouve dans le final du Le Jardin Sonore de Pistoia.
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Les Conversations est une série de petites compositions mixtes (associant le chant d’un oiseau à une improvisation instrumentale), imaginée par François Raulin (La Forge laforgecir.com/project/et-autres-chants-doiseaux-2/) pendant l’enregistrement du CD Et autres chants d’Oiseaux.
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Les Conversations, série de compositions toujours en cours de réalisation, voient ainsi plusieurs instrumentistes dialoguer avec des chants d’oiseaux enregistrés et livrés tels quels sans aucune manipulation de studio. Ces petites pièces de deux minutes environ réalisées très rapidement, peuvent, à l’occasion de concerts, devenir des petits intermèdes ou apporter des ponctuations musicales dans diverses circonstances. Il en existe actuellement une dizaine associant les chants de divers oiseaux européens à l’alto, la clarinette, le piano, la contrebasse, l’accordéon, le métallophone…
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LE CHARDONNERET ET LA PEINTURE
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Le nom de l’oiseau et son attachement au chardon évoquent la couronne d’épines et ont fait de lui un véritable symbole dans la peinture occidentale.
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Un peu comme il existe un langage des fleurs dans la peinture ou la poésie, il existe un langage des oiseaux qui s’exprime par la seule présence à l’image d’un oiseau porteur d’un symbole ou d’un sens précis ; au-delà du chardonneret citons simplement la colombe comme évocation de l’Esprit, de la paix ou de la réconciliation ou encore l’aigle pour exprimer le pouvoir et la force… les exemples pouvant se multiplier à l’infini. À contempler toutes ces œuvres qui peuplent nos musées, nous sommes surpris par la présence de tous ces oiseaux qui habitent les tableaux, et nous vérifions qu’ils ne sont jamais là par hasard, surtout dans la peinture médiévale ou renaissante.
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Le bestiaire chrétien raconte que le Chardonneret aurait voulu retirer une épine de la couronne plantée au front du Christ, et l’arrachant, aurait fait gicler un peu de son sang sur son front lui donnant ainsi sa belle couleur rouge… (on dit aussi que, plus timidement, le Rouge gorge l’aurait accompagné et lui aussi se serait taché à la poitrine). Effectivement la présence du Chardonneret dans la peinture est fréquente et chaque fois, l’oiseau annonce un épisode douloureux à venir, le plus souvent la Passion du Christ. Ce thème se retrouve dans près de 500 tableaux, principalement au moyen âge et à la renaissance dans un très grand nombre de pays d’Europe.
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Dans la Vierge au Chardonneret de Raphaël (1506) (Musée des Offices à Florence), l’oiseau, tenu par Jean Baptiste et offert à l’Enfant occupe le centre de la toile. Ainsi Jean Baptiste prophétise déjà le sacrifice du Christ.
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Voici quelques-uns de ces nombreux tableaux exposés dans tous les grands musées d’Europe.
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Il devient presque un jeu, lors des visites de musées, de chercher et trouver où se trouve le chardonneret... le plus souvent dans les mains du Christ mais d'autres fois à ses pieds, ou encore perché au dessus...
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La Madone au Chardonneret (1506), exposé au musée de Berlin
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Adoration avec saint Jean-Baptiste enfant et saint Bernard (1495) exposé au musée de Berlin
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Sainte famille dans un paysage
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(vers 1514), exposé à Vienne (Autriche)
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Raphaël : La Sainte famille avec saint Jean-Baptiste (1511/1520)
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Musée de peinture de Vienne (Autriche)
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Une exception au Chardonneret
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La Vierge à l’enfant et Saint Jean Baptiste, XVe siècle
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Musée des Beaux-Arts de Lyon
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Dans ce tableau de la Renaissance italienne, le peintre ne représente pas un Chardonneret comme le veut la tradition, mais une hirondelle dans les mains de l’enfant Jésus…
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Autrefois, nous ne savions rien, ou pas grand-chose, sur la question de la migration des oiseaux. Aussi, si chacun savait que les hirondelles disparaissaient en hiver pour réapparaitre au printemps, la question de leur destination occupait les esprits. Nombreux étaient ceux qui pensaient que les hirondelles plongeaient au fond des lacs pour en ressortir à la belle saison. (Cette idée venait peut-être d’une observation des hirondelles volant au raz de l’eau à l’automne, à la chasse aux insectes…).
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C’est ainsi que, progressivement, l’hirondelle est devenue un symbole de la résurrection qu’elle annonce par sa présence dans ce tableau.
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Le Chardonneret dans la peinture profane
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Anonyme début XVIIe siècle Italie
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Ici, dans ce tableau profane, exposé au Musée des Beaux-Arts de Lyon, il symbolise la souffrance et le sacrifice à venir pour Renaud et Armide.
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Le Chardonneret (1654) , La Haye, Mauritshuis
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Sur le tableau de Carel Fabritus, la représentation du Chardonneret, posé sur un perchoir artificiel, attaché par une chaîne fixée à sa patte nous rappelle la captivité des Chardonnerets comme l'évoque Jérôme Sueur dans l'émission “La Terre au carré”.
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Merci à Philippe Lefebvre (organiste Philippe_Lefebvre) et à Guillaume Roy (alto) guillaume-roy pour leurs conversations avec le Chardonneret élégant.
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Chaque numéro de L'INDICATEUR accorde en pied de page un espace à la présentation du travail d'un audio-naturaliste, d'un artiste ou encore d'une personne ou d'une structure jouant un rôle remarquable dans cette discipline. Aujourd’hui Jérôme Sueur, Eco acousticien, Chercheur au Museum National d’Histoire Naturelle de Paris
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Je n’ai pas très envie de raconter ma vie, ma jeunesse, les raisons qui font que je suis là et que l'on m'ouvre cette chronique. Je ne parlerai donc pas du lévrier au poil de bronze dont la course dans le jardin d'une maison de campagne me fascina vers mes 10 ans et suscita très probablement mon désir d'histoires animales, je ne parlerai pas non plus des heures passées à écouter et essayer de jouer des rythmes et des phrases de blues qui suscitèrent ma passion pour le son, et je ne parlerai pas de mes seules réussites scolaires en sciences naturelles qui me firent aimer la biologie plus que toute autre science. Je ne détaillerai rien de tout cela mais j'évoquerai, rapidement, un moment unique d'écoute.
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Les bioacousticiens, les écoacousticiens et les audionaturalistes aiment la solitude. Mieux vaut être seul pour ne pas être dérangé et ne pas déranger quand on enregistre dehors. Il faut entendre sa seule respiration pour écouter les autres. Et encore, mieux vaut contrôler son souffle pour se rendre totalement inaudible.
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L'écoute dont je vais parler s'est faite à plus de vingt personnes, dans un silence total de plus de vingt minutes. Dans la respiration silencieuse des uns et des autres. Écouter à plusieurs, c’est aussi possible.
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La forêt tropicale des Nouragues, au cœur de la Guyane, est un chaudron de sons vivants. La forêt tremble dans un bruissement continu d'insectes stridulants ponctués par des ensembles matinaux, vespéraux et nocturnes d'oiseaux, de mammifères et d'amphibiens. Pihaus hurleurs et grallaires tachetées, singes hurleurs et singes atèles, grenouilles métronomes et rainettes siffleuses, grillons discrets et cigales tonitruantes rehaussent par leurs couleurs sonores le vert, parfois sombre de la forêt. Vivre la forêt tropicale c’est évidemment la voir mais aussi la sentir et l’écouter.
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Le massif forestier des Nouragues se caractérise par la présence d’émergences granitiques qui bossellent la forêt. Grandes masses de roche noire, ces inselbergs - montagnes-îles en Allemand - dépassent la forêt et sont l'excursion presque obligatoire, marche initiatique pour les nouveaux, rituelle pour les habitués, des hôtes de la station de recherche. La plupart du temps, nous y montons à 3 ou 4, reflétant la petite taille de nos équipes de recherche. Mais cette fois-ci est un peu particulière. Nous sommes 20. Organisée et dirigée par Nicolas Mathevon et son équipe de l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne, nous sommes arrivés quelques jours plus tôt en masse pour enseigner la bioacoustique et l’écoacoustique in situ à l’occasion de la première Tropical Bioacoustics School.
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L’ascension n’est pas bien difficile mais elle fait tout même battre les tempes et durcir les cuisses. En montant, la forêt se transforme : elle s'éclaircit, diminue en taille pour finalement disparaître totalement et laisser place au sommet à une végétation rasante et clairsemée, une savane-roche composée essentiellement de broméliacées.
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Le sommet de l’inselberg est un lieu unique. Le sol de granite chaud et érodé que l’on tâte comme le corps d’un autre, la lumière que l’on retrouve et l’espace qui s’ouvre laissent une impression inégalée de découverte. Sortis de l’humidité verte de la grande forêt tropicale, on marche sur le dos d’une île inconnue entourée d’un océan de forêt.
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Le plus exceptionnel sur cette île est la vue qu’elle offre tout autour. Je n'ai jamais rien vu de tel, même face aux océans, même sur les hauteurs des montagnes alpines. Être au-dessus, respirer, prendre le soleil et ses distances, voir la Guyane d’un côté, le Brésil de l’autre, tout couverts d’un chaud tapis d'arbres ruisselants est un privilège exceptionnel. Au balcon de la forêt, on ne peut que contempler, surplomber sans jamais dominer, être au-dessus tout en se sentant minuscule, être humain puissant et idiot face à tant de masse végétale et animale.
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Même si nous sommes tous ahuris par le site, nous restons bruyants car nous sommes en groupe et nous adorons partager nos exclamations. Il m’arrive souvent de demander le silence pour écouter. Je le fais dans des situations bien moins excitantes : au dedans, dans des amphis, des classes et des salles de conférence, dehors dans des bois ou des forêts de banlieue ou de vacances. Ici, l’occasion est trop belle de faire un test d’écoute collective. Je propose au groupe de nous taire une minute pour écouter.
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Plus personne ne bouge. Les regards vont dans la même direction : les arbres à perte de vue, les nuages qui se forment et se déforment, des éclairs du soir éclatent au loin. L’ambiance est étrangement silencieuse, calme et apaisante. Les sons de la forêt ne nous atteignent pas, ils ne passent pas la frontière de la canopée. Pas même une petite grenouille qui chanterait dans un des trous d’eau que réserve la couche granitique imperméable.
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Rester une minute en silence et immobile, pour enregistrer ou pas, est un défi. Essayez seul, c'est dur. Essayez à deux, c'est faisable. A trois, c'est terminé. Il y aura toujours un ou une pour bouger un peu, froisser un vêtement, ouvrir une poche, frotter une chaussure ou faire une remarque - il fait froid, il fait chaud, bon on fait quoi. Jamais je n'aurais pensé pouvoir tenir le silence à l'écoute du silence en étant si nombreux. Au lieu d'une minute, nous écoutons vingt minutes sans qu’une seule fois le silence soit brisé. C’est finalement moi qui craque, qui arrête l’expérience commune en voyant la nuit approcher. Vingt minutes à vingt.
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Ce fut tellement facile de se taire et de regarder pour écouter. Ce fut beau, émouvant, vibrant, captivant. Nous avons plus partagé, échangé à ne rien se dire qu’à commenter l'incommunicable. La force d'un groupe dans le même espace sonore, tout à la fois attentif tourné vers l'extérieur du majestueux et, immanquablement, vers l’intimité des pensées intérieures.
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Voilà, c'est tout. Écouter le monde, de haut en bas, de bas en haut, seul ou avec tous, c’est ça mon kiff.
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