|
L'INDICATEUR N°17
De tout petits chanteurs !
|
|
lInvité : Alexandre GALAND
|
|
|
|
Consacrer un ou deux numéros de l’INDICATEUR à des oiseaux à peine visibles, à peine audibles, auxquels nous ne portons jamais la moindre attention et qui pourtant peuplent nos campagnes et nos forêts, voici un petit défit passionnant qui nous replace face aux questions d’échelles, de temps et de rythmes que nous abordions dès les premiers numéros.
|
|
|
|
|
Ces tout petits oiseaux échappent bien souvent à notre regard du fait de leur petitesse liée à une mobilité étonnante. Leurs chants sont si aigus et rapides qu’ils ne sont pour nous, dans le meilleur des cas, que de légers gazouillis confus, illisibles, souvent situés à la limite de nos capacités auditives.
|
|
|
|
De ce fait, nos petits oiseaux intéressent fort peu les musiciens. Olivier Messiaen lui-même n’en évoque aucun dans ses partitions. Aucune composition dans le répertoire général ne porte leur nom. Seuls les Colibris éveillent l’attention des artistes, principalement pour la qualité de leurs couleurs et leur incroyable virtuosité en vol aux abords des fleurs.
|
Si les plus petits oiseaux du Monde sont effectivement les Colibris, dont certains pèsent moins de deux grammes, en Europe, les plus petits sont les Roitelets, les Mésanges bleues, suivis de près par le Serin cini, le Troglodyte mignon et enfin les Gobemouches. En premier lieu nous nous arrêterons donc sur les Roitelets européens (moins de 6 grammes) puis les Gobemouches (moins de 15 grammes) moins connus que les mésanges et troglodytes auxquels nous consacrerons un prochain numéro.
|
|
|
|
|
|
La famille des roitelets compte au moins six espèces distinctes dont deux se trouvent en Europe : le Roitelet huppé et le Roitelet triple bandeau. Dans son ouvrage dédié aux passereaux d’Europe, Paul Géroudet nous dit : « Les deux Roitelets sont si semblables de taille, de plumages, d’allures et de mœurs, que nous pouvons traiter en commun plusieurs points de leur biologie. »
|
Le Roitelet huppé et le Roitelet triple bandeau semblent porter une petite couronne de plumes très colorées… d’où le nom : Regulus en latin : roi d’un petit territoire.
|
Dans son Histoire Naturelle, Buffon nous dit :
|
« Il est roi puisque la nature lui a donné une couronne, & le diminutif ne convient à aucun autre de nos oiseaux d’Europe autant qu’à celui-ci puisqu’il est le plus petit de tous… si on est parvenu à le prendre… on craint de trop presser dans ses doigts un oiseau si délicat ; son cri aigu & perçant est celui de la sauterelle, qu’il ne surpasse pas beaucoup en grosseur. »
|
Et s’il est vrai qu’il est facile de les confondre visuellement, leurs chants, bien différents, les distinguent.
|
Le Roitelet huppé vit essentiellement dans les massifs de conifères, sédentaire en France, avec une prédilection marquée pour les épicéas. Cette préférence dénote d’ailleurs chez ce passereau une grande faculté d’adaptation, car l’épicéa est une essence de reboisement récente. En hiver, le Roitelet huppé fréquente les haies, les sous-bois et les feuillus.
|
Le Roitelet triple bandeau, partage souvent les mêmes territoires mais il semble moins exigeant et adopte souvent les essences exotiques des parcs et jardins et certains arbres à feuilles caduques. Les deux Roitelets construisent des nids particulièrement protégés du froid, le plus souvent très en hauteur au sommet d’un conifère. En hiver, il migre légèrement vers le sud sans pour autant accomplir de longs trajets.
|
|
|
|
|
Apprécier des subtilités, des nuances, des profils mélodiques aussi aigus et rapides, produits par de si petits oiseaux passe naturellement par l’expérience de l’écoute au ralenti, comme si nous décidions d’observer à la loupe ce qui risque d'échapper à notre regard. Et dans le cas des Roitelets, ou encore des Gobemouches, il nous faudra souvent ralentir jusqu’à multiplier la durée par 8 et descendre ainsi la hauteur de trois octaves.
|
Voici un petit tableau permettant de comprendre la relation qui s’établit naturellement entre durée et hauteur.
|
|
|
|
|
|
|
|
Le chant du Roitelet huppé possède un caractère intime, et discret : sa ligne mélodique est une douce et calme ondulation formée par la répétition liée d’une note montante, avec un motif initial plus énergique. P. Géroudet.
|
L’original du chant du Roitelet Huppé (enregistré à l’aube, en mai, dans le parc de Berg en Bos en Hollande) ainsi que tous les traitements en variation de vitesse pour cet oiseau sont présentés en stéréophonie.
|
|
|
|
|
Dans cet enregistrement nous entendons au premier plan un oiseau qui généralement s’entends à peine au cœur d’un concert de l’aube comme celui-ci, ce que Messiaen nommait un fouillis d’oiseaux. C’est là le miracle du microphone doté d’un réflecteur parabolique placé exactement dans l’axe d’un oiseau en réalité très discret et qui chante perché, relativement haut, dissimulé dans les feuillages.
|
Les ralentissements successifs laissent apparaitre la structure d’un chant fondé sur des variations subtiles, autant dans les intervalles mélodiques, que sur les diverses manières de terminer la phrase par une sorte de petit rire. Le timbre est alternativement flûté et vocal. Dans le même temps, autour du chant lui-même, tout se passe comme si chaque objet composant l’image acoustique se trouvait considérablement agrandi. C’est le cas de la forêt dont la profondeur et la résonnance se trouvent tout naturellement amplifiées.
|
|
|
|
|
Le Roitelet triple Bandeau
|
Regulus ignicapilla
|
|
|
|
La voix du triple bandeau a plus de force que celle du Roitelet huppé. Moins varié que la mince mélodie du huppé, mais beaucoup plus sonore, son chant n’est que la répétition d’une seule note élevée, suivant une ligne légèrement ascendante avec une accélération caractéristique. P. Géroudet
|
L’original du chant du Roitelet triple bandeau, (enregistré à l’aube dans la forêt de Bavella en Corse au mois de mai) est présenté ici en mono. Pour le ralentissement de deux octaves nous écoutons une sélection de quelques phrases seulement, et les silences sont réduits de moitié.
|
|
|
|
|
Ce chant, bien plus sonore et perçant que celui du Roitelet huppé semble aussi plus simple à la première écoute. De plus, la forêt est ici beaucoup plus calme.
|
En réalité, le ralentissement, ici aussi, laisse apparaitre de vraies subtilités dans ce qui n’étaient que des simples répétions. Indépendamment d’une véritable originalité dans la manière de conduire les mélodies et les rythmes, l’oiseau accorde aussi une grande importance à la nuance, allant du son le plus piano au forte le plus volontaire.
|
Pour des raisons pratiques, les séquences ralenties de deux puis trois octaves ont été tronquées dans leur durée totale, ainsi que la durée des silences séparant chaque phrase. En effet, le fichier original de deux minutes nous conduirait à des résultats de 8 minutes, puis de 16 minutes!
|
|
|
|
|
Muscicapa striata
|
|
Son vocabulaire est bien pauvre… le chant est très modeste et passe inaperçu … rien qui vraiment retienne l’attention ! P.Géroudet.
|
Et pourtant cet oiseau perpétuellement affamé est très commun : les bois clairs, principalement feuillus, les lisières et les clairières, les bords des chemins, les parcs et jardins et même les abords de nos maisons. Il est migrateur et quitte nos régions dès la mi-août et revenient dès la fin avril pour envahir toute l’Europe, du nord au sud.
|
|
|
|
|
L’original des chants ainsi que tous les ralentis des deux gobemouches sont en mono.
|
Ce Gobemouche gris a été enregistré en Sardaigne, dans un grand chêne, à l’aube au début du mois de mai. Le ralenti nous permet d'entrevoir toutes sortes de subtilités à chaque niveau de ralentissement.
|
Il faut écouter le ralentissement de trois octaves sur toute sa durée pour entrer dans le temps de l’oiseau, mais aussi dans la nature même des sons dont certains sont diphoniques (plusieurs hauteurs entendues simultanément, avec des glissandi très variés). C’est un discours musical soutenu, dont la fin est particulièrement émouvante.
|
|
|
|
|
|
|
"Sa voix n’est pas un chant ; mais un accent plaintif très aigu, roulant sur une consonne aigre, cri, cri.” Buffon (Histoire Naturelle)
|
"Son chant, assez bref et prenant, rappelle singulièrement celui du Rouge queue à front blanc, mais en plus sec et plus pressé. Une autre forme de chant, moins typique, est un babil précipité, en sourdine, très varié et prolongé qui dénote une excitation particulière à certaines circonstances.” Paul Géroudet
|
Le Gobemouche noir, migrateur en Afrique tropicale, affectionne les cavités (dans les arbres ou les trous de murs) pour installer son nid fin avril. Il s’adapte particulièrement bien aux nichoirs dotés d’orifices étroits, placés dans des espaces de feuillus assez dégagés ou de vieux vergers dans quasiment toute l’Europe.
|
|
|
|
|
Avec le Gobe Mouche noir, enregistré lui aussi dans la forêt de Berg en Bos en fin de journée au mois de mai, nous entendons en arrière-plan : un Troglodyte mignon, un Pouillot véloce, une Grive musicienne, une Mésange charbonnière, une alarme de Fauvette à tête noire (petits claquements secs en fin de séquence) …
|
Pour le ralentissement de deux octaves, nous avons choisi le centre de la séquence.
|
Pour le ralentissement de trois octaves nous nous sommes permis d’écourter les silences de l’oiseau entre les phrases.
|
Nous constatons que chaque phrase est différente de la précédente, nous sommes clairement dans le modèle “variations sur un thème”.
|
|
|
|
Comme c’est le cas chez quasiment tous les passereaux chanteurs chaque espèce possède son chant, bien caractéristique et, en même temps, il existe de nombreuses différences “de style” d’un individu à l’autre.
|
|
|
|
|
Chaque numéro de L'INDICATEUR accorde en pied de page un espace à la présentation du travail d'un audio-naturaliste, d'un artiste ou encore d'une personnes jouant un rôle remarquable dans cette discipline:
Aujourd'hui : Alexandre Galand
|
|
|
|
Il y a quelques années, j’ai commencé à entendre un soufflement prononcé à l’oreille gauche. D’après mon oto-rhino-laryngologiste, ce bruit permanent peut être une tentative de rééquilibrage de la part du cerveau afin d’ajuster l’écart lié à une perte d’audition. Un acouphène donc, permanent, dont je m’accommode et qui ne capte mon attention que lors des moments de calme ou d’intervalle, entre les déluges de notes d’un concert de jazz ou de classique, entre les dialogues de films ou lors de divagations face à un livre.
|
Si j’entends bien l’explication de mon médecin, je ne peux m’empêcher d’assimiler cet acouphène à une expression symbolique et pourtant bien incarnée du sentiment de perte. Plutôt que d’en faire quelque chose de pénible, je préfère le voir comme le titre d’une de parties du récit de mon parcours. Ce bruit incessant me rappellerait ce qui a été ou ce qui a pu être ouï, un Eden hypothétique de silence, peut-être à jamais perdu. Et ces motifs entrelacés de bruit, mémoire et attention évoquent non seulement mon intérêt pour le sonore et le musical, mais aussi pour les dispositifs organisés de traces du passé, soit les livres, les disques, les musées et autres cabinets de curiosités, voire les paysages.
|
Pour en arriver à mon rapport au son, je dois remonter comme beaucoup d’autres à mon écoute émerveillée des disques et cassettes audio-naturalistes de Jean-Claude Roché. J’y découvrais la profusion des formes, la variabilité des modes d’expression, mais aussi l’ubiquité, aptitude des enfants ou des chamanes, que permet l’enregistrement. J’ai ainsi des souvenirs de paysages sonores dont je ne sais si je les ai entendus sur le motif ou par le biais de l’enregistrement.
|
Plus tard, dans les années 1990 et au début des années 2000, je m’intéresse à toute une série de pratiques musicales ouvertes aux bruissements et au vacarme du monde, dans le champ des musiques électroniques, concrètes et contemporaines. Via le label anglais Touch, j’écoute le travail de Chris Watson, qui me conduit aux travaux de Bernie Krause et d’autres pionniers. Plus tard encore, j’écoute avec enthousiasme les disques de Yannick Dauby, Bernard Fort, Marc Namblard et bien d’autres. Et cela me plaît que la frontière entre ce qui relèverait du musical et du non musical n’y soit pas toujours clairement définie.
|
A l’issue d’une thèse de doctorat en histoire de l’art consacrée à un peintre bruxellois du 16e siècle, j’éprouve le besoin d’un sujet de recherche transdisciplinaire où je pourrai donner libre cours à mon goût pour la musique, la nature, l’anthropologie… J’ai également envie, et c’est peut-être un peu infantile, de travailler à un ouvrage qui fonctionnerait comme les encyclopédies, atlas et autres guides « nature » que j’aimais enfant : un livre-univers, une porte d’entrée vers la multiplicité des mondes. Il répondrait à un désir d’exploration, non guidé par un exotisme facile ou sensationnaliste, et si possible respectueux de l’incroyable diversité du « chant du monde ». Ce projet sera accepté par l’éditeur marseillais Le mot et le reste avec la publication en 2012 de Field Recording, L'usage sonore du monde en 100 albums.
|
|
|
|
|
|
Voici comment je présentais le livre à l’époque :
|
« Le chant de l’oiseau-lyre d’Australie, les vents de Patagonie, les flûtes sacrées Aré’ aré des Îles Salomon, les vibrations des bâtiments de nos villes ou les louanges exaltées des pêcheurs de perles de Bahreïn ne sont que quelques exemples des innombrables sons et musiques abordés dans cet ouvrage consacré à la pratique du field recording, de l’enregistrement de terrain. Tout au long du XXe siècle, des hommes ont parcouru le monde afin de capter des curiosités sonores pour des raisons scientifiques, patrimoniales et esthétiques. Ce sont des audio-naturalistes, des collecteurs de musique traditionnelle, mais aussi des compositeurs avides de découvrir un nouveau matériau musical. Les microphones sont leurs outils, voire leurs instruments, l’écoute est leur méthode d’approche. En sortant du studio, ils prennent le risque de se confronter à l’imprévisible, à l’incontrôlable, au fragile parfois. Ils se nomment Alan Lomax, Chris Watson ou encore Luc Ferrari. Cent disques rendent ici compte de leur quête, toujours en cours, du « chant du monde ». Une riche introduction et trois interviews de figures majeures du field recording (Jean C. Roché, Bernard Lortat-Jacob et Peter Cusack) complètent cette anthologie. »
|
|
|
Ma passion pour les collectes sonores et les enregistrements de terrain procédait d’un intérêt pour le goût humain de la collection, de l’inventaire, à des fins scientifiques ou artistiques. En tirant ce fil thématique et retournant en partie à ma formation d’historien de l’art, j’ai publié en 2018 aux éditions Seuil jeunesse un ouvrage illustré par Delphine Jacquot et consacré aux cabinets de curiosités : Monstres et merveilles. Cabinets de curiosités à travers le temps.
|
|
|
|
|
Ce livre résultait du souhait de tracer une histoire, certes partielle et partiale, du rapport des Occidentaux au vivant et à l’altérité depuis la Renaissance, par le biais de la science, de la collection et de toute une série de dispositifs de mise en scène du monde (musées, dioramas, zoos, encyclopédies, inventaires sonores…). Une réflexion écologique sous-tendait également le propos. A partir du 16e siècle, les scientifiques collectaient en effet les choses de mondes en extension, tandis qu’à notre époque, il s’agit plutôt d’archiver coûte que coûte, et vite, des mondes en réduction, suite aux différentes crises écologiques.
|
|
|
|
|
Cette année, j’ai eu le plaisir de reconduire cette collaboration avec l’illustratrice Delphine Jacquot.
|
Elle a donné naissance, toujours aux éditions du Seuil, à l’ouvrage Sauvage ?
|
En voici l’argumentaire :
|
« Le mot "sauvage", du latin silvaticus (qui est relatif à la forêt, au bois), sert depuis des siècles à désigner quantité de lieux en marge de la "civilisation", soi-disant peuplés par des êtres parfois eux-mêmes qualifiés de "sauvages", êtres légendaires ou bien réels.
|
|
|
|
L'Occident a longtemps eu besoin de ces figures comme repoussoirs, pour se construire et se définir en opposition à ce qui serait chaotique, dangereux, imprévisible, incontrôlable.
|
Pourtant, le sauvage n'existe pas en soi. Il est toujours lié à un regard. A notre époque, l'usage de ce mot reste problématique et son sens tantôt négatif, tantôt positif. Il sert encore, comme dans les pires moments de l'histoire de la colonisation et du racisme, à désigner des personnes, à les repousser derrière des frontières, à les déshumaniser.
|
Ces dernières décennies, dans le contexte des crises écologiques, le «sauvage» correspond à ce qui résiste à l’empreinte grandissante de l’humanité, ce qui devient rare, ce qu’il faut protéger à tout prix. »
|
|
|
|
|
En croisant mes intérêts pour l’enregistrement sonore, l’écoute et les problématiques de notre rapport au vivant dans le contexte critique de notre époque, j’ai enfin été amené à écrire l’un ou l’autre article, mais aussi à donner des conférences, ici et là, au Muséum d’histoire naturelle à Paris, à la Manufacture des idées en Bourgogne, au Centre Pompidou à Paris…
|
|
|
|
|
|
Parmi d’autres réalisations, on peut trouver, en cliquant sur l'image ci-dessus, une captation d’une conférence donnée au Centre Pompidou en juin 2022 à propos du concept d’«audiocosmogramme», conférence illustrée « live » par le dessinateur Eric Vallette.
|
On pourra lire le texte, publié initialement dans la revue Audimat en 2018 Écouter dans les ruines du capitalisme. Enregistrements de terrain et formes de vie, en cliquant l'image ci -dessous.
|
|
|
|
|
|
|