L'INDICATEUR N°22

LE ROSSIGNOL PHILOMÈLE
et les musiciens qu'il inspire





Invité : SONATURA
Le Rossignol philomèle, Luscinia megarhynchos
Écrire un article au sujet du Rossignol… Drôle d’idée !
Faut-il encore présenter le type même de l’oiseau chanteur ? Que dire de nouveau à son sujet ?
Son nom même évoque le chant et la musique dans l’esprit de chacun d’entre nous, comme une évidence …
Le Rossignol est amoureux, poète, virtuose, mélodiste, rythmicien, effronté, humoriste, érotique, envahissant, excentrique. Soliste, inventif, il chante, pulule, gringotte, siffle, glousse, quiritte ou trille, infatigable de jour comme de nuit, conquérant ou charmeur, triste pour les uns, explosant de joie pour les autres. Le rossignol est avant tout sonore, bavard, insolent, impérieux, musicien souvent invisible, semblant n’exister que par ses manifestations vocales ! Que dire encore…
Le Rossignol philomèle peut très facilement être confondu avec son proche cousin le Rossignol progné (représenté ci-dessus) très présent dans l’Europe de l’Est et en Scandinavie.
Effectivement fort peu d’éléments les séparent, à la fois visuellement mais aussi “musicalement” : cependant on s’accorde à dire que le chant du Rossignol progné est un peu plus grave, plus sonore, et sans doute un peu plus lent que celui du Rossignol philomèle. Le CD de Jean Roché consacré aux Rossignols permet de constater ce type de différences.
(Chaque image de cet page contient des liens aux ouvrages cités) .
Pour le reste, voici un oiseau très ordinaire, discret et difficile à observer alors qu’il est très facile à enregistrer car ses séquences vocales, très sonores, sont souvent longues. Il est peu farouche, garde longtemps le même poste de chant. C’est migrateur, qui pèse un peu moins de 30 grammes, vit dans les lisières, les fourrés proches des rivières ou les zones humides.
Pour beaucoup son chant serait plus sonore et complexe la nuit... il est vrai que, la nuit, il ne fait face à aucune concurrence, si ce n’est celle des insectes ou des batraciens.

Un haiku japonnais nous dit :
Dans la nuit
Le rossignol
Rempli l’espace.

Le rossignol possède un chant riche et complexe se prêtant à toutes les interprétations : chant d’amour, chant territorial révélant pour certains un véritable sens de l’esthétique (mais les canons esthétiques de l’oiseau sont-ils les mêmes que les nôtres ? Varient-t-ils d’une espèce à l’autre ?) Et pourtant, le chant du rossignol, rassemble autant les ornithologues et les musiciens qu’il les divise : les appréciations le concernant sont très variées voire opposées.
En voici quelques-unes émanant toutes de personnalités dont la compétence est reconnue :
Le Chant des Oiseaux ” : d’André Bossus et François Charron, accompagné d'un CD, nous propose une brève analyse de chaque chant :

Composé de roulades et de crescendo flûtés, celui-ci contient également d’autres sons musicaux.
Ce sont surtout sa vigueur et de subtiles nuances, qui la nuit impressionnent…
Pourquoi le rossignol chante-t-il la nuit ? Nul ne peut le dire avec certitude ; cependant on sait que le mâle arrive le premier sur son site de nidification.
Aussitôt il se met à chanter jour et nuit dans l’attente des femelles, qui arrivent de nuit.
Dans son petit ouvrage “L’Hymne aux oiseaux” Jean-Yves Barnagaud écrit :
Il défend âprement ton territoire et l’exclusivité de sa partenaire. Les parades, les chants, et jusqu’aux couleurs d’un plumage, tout ce qui fait la splendeur d’un oiseau relève de la lutte féroce pour l’existence. Le naturaliste, embarrassé à l’idée de trouver beau ce qu’il considère comme abject chez l’homme, pourra se défausser derrière un écran de rationalité scientifique : une hirondelle gobant un moucheron n’est alors plus une scène de mort, mais une technique d’alimentation… c’est en mettant de côté la tentation d’interpréter chaque situation à l’aune des règles morales, qui s’imposent à l’homme seul, que l’observateur parvient à s’immerger pleinement dans l’esthétique de l’oiseau.
Un peu plus loin dans ce même petit livre, Jean-Yves Barnagaud nous invite à lire et relire des auteurs qui peuvent dater un peu, mais qui, a ses yeux, sont fondamentaux et toujours très actuels tant pour la qualité littéraire et poétique que pour la vérité scientifique : Paul Géroudet et Jacques Delamain. Nous allons y venir:
Dans sa somme sur “Les Passereaux d’Europe”, Paul Géroudet écrit :
Son chant est une affirmation de l’individu face aux autres, un débordement d’énergie qui résonne comme un défit . Point de tristesse, de douleur, ni de tendresse, ni de soucis artistiques ou amoureux, mais une mâle proclamation, un jaillissement de vitalité, prodigieux de richesse, de vigueur et de variété.
L’analyse du chant ne saurait lui rendre justice : il faut l’écouter.
Dans le même ouvrage, Michel Cuisin rajoute en notes :
En France (en Île de France), un rossignol commença à chanter à 21H et continua presque sans arrêt, jusqu’à 4 heures du matin. Le rossignol chante aussi dans ses quartiers d’hiver africains (on l’entend de novembre à mars). Le chant peut être émis par des jeunes âgés de 9 mois, à conditions qu’ils aient entendu un mâle adulte au cours de la période d’apprentissage (qui commence à 12 jours en captivité). A cette base, l’oiseau peut ajouter des motifs qui lui sont propres.
Dans son livre “Pourquoi les oiseaux chantent” Jacques Delamain écrit:

En avril, le rossignol déploie, dans son chant nocturne, ses accents passionnés, ardents, sincères.
Celui-ci possède toutes les ressources de l’art : en une vingtaine de strophes différentes, il accumule ses notes pleine et riches, il les lie, les oppose, les répète.
Qu’en dit Olivier Messiaen dans le tome 5 de son “Traité de rythme, de couleur, et d’ornithologie” ?
À vrai dire, le rossignol est peut-être moins musicien que d’autres oiseaux chanteurs. Il n’a pas l’invention rythmique de la Grive musicienne, ce n’est pas un mélodiste né comme la Fauvette des jardins ou la Fauvette à tête noire : il se contente de trois ou quatre formules stéréotypées, communes à ceux de son espèce.

Mais il est supérieur à tous par la qualité et la puissance de sa voix, par la beauté de son timbre, par la virtuosité, et surtout par l’art merveilleux avec lequel il passe d’un tempo à l’autre, et d’une nuance à l’autre, d’une attaque à l’autre, opposant ou entremêlant avec une aisance souveraine le lent au vif, le pianissimo au fortissimo, le staccato au legato.
Une fois n’est pas coutume, relisons Buffon et son “Histoire Naturelle” :
Dans l’espèce du rossignol, comme dans toutes les autres, il se trouve quelque fois des femelles à la constitution du mâle, à ses habitudes et spécialement à celle de chanter. J’ai vu une de ces femelles chantantes qui était privée ; son ramage ressemblait à celui de mâle ; cependant il n’était ni aussi fort, ni aussi varié : elle le conserva jusqu’au printemps ; mais alors subordonnant l’exercice de ce talent qui lui était étranger, aux véritables fonctions de son sexe, elle se tut pour faire son nid et sa ponte, quoi qu’elle n’eût point de mâle.
Il semble que dans les pays chauds, tels que la Grèce, il est assez ordinaire de voir de ces femelles chantantes…
Voici qui alimente un débat très actuel… Si jusque dans des temps récents il était admis que seuls les mâles chantent, de plus en plus, y compris dans nos contrées, cette question est fortement controversée.
ÉCOUTONS D'UN PEU PLUS PRÈS LE CHANT DU ROSSIGNOL
LE ROSSIGNOL EN MUSIQUES
Oiseau mythique par excellence il a inspiré nombre de poèmes, musiques, chansons, et ce à toutes les époques, un peu partout en Europe, puisque son aire de répartition est très large.
L’idée, ici n’est pas d’en dresser un catalogue mais plutôt de signaler quelques partitions de grande qualité qui attestent l’écoute naturaliste des compositeurs.
LE ROSSIGNOL
DE CLÉMENT JANEQUIN
À la renaissance, en France, Clément Janequin est à la fois prêtre et compositeur, principalement de chansons polyphoniques. Dans certaines de ses compositions vocales, que l’on pourrait qualifier de “bruitistes”, il tente de retranscrire ce qu'il percevait sur le terrain, afin de permettre aux auditeurs de se figurer la réalité au plus proche. Ainsi, La Guerre ou Les Cris de Paris, nous donnent l'impression d'entendre, au-delà de la musique, les sons présents à cette époque, comme si on avait pu les enregistrer. Dans Le Rossignol ou encore dans le Chant des oiseaux, Janequin traduit les chants par des onomatopées ou encore des mimologismes. Nous y reviendrons, l’usage des mimologismes est fréquent en ornithologie et il fournit aux amateurs des moyens mnémotechniques simples pour retenir les formules types de chaque chant.
La chanson polyphonique était, du temps de Janequin, un exercice collectif propre du jeu de société : il fallait surmonter des difficultés de lecture et d’interprétation. Quatre ou cinq chanteurs se réunissaient autour d’un lutrin sur lequel était placée la partition, et l’on déchiffrait à vue… si possible sans se tromper…
De ce fait, on comprend aisément qu'il existe un grand nombre d'interprétations possible d'un même chant polyphonique, ce que nous vérifions dans les exemples ci-dessous.
Les paroles du chant : LE ROSSIGNOL:

En escoutant le chant mélodieulx
Do ses plaisans et tant doulx rossignieulx
Qui vont disant ainsy, ainsy, ainsy
L'ung d'eux me dist: "Parcy, passez, parcy
Et vous orrez qui chantera le mieulx."
Tous tous tous tous veulliez estre songneulx
D'amour servir loyaulment en tous lieux
Et luy crier mercy, mercy, mercy
Fuyez, fuyez, gens merencolieulx
Suyvez, suyvez les dames en tous lieux
Et de soucy dictes fy fy fy
Retournez cy mardi, mardi, mardi
Et vous serez plus que devant joyeulx
Voici ci-dessous les paroles telles qu’elles sont couchées sur la partition du CHANT DES OISEAUX, ici le troisième couplet, le quatrième couplet nous donne l'origine d'un mot français bien connu :
Rousignol du boys ioly
a qui la voix resonne
pour vo’ mettre hors dennuy vostre gorge iargonne
frian frian tr tar tar tu
velici ticun tu tu
qui lara fereli fi fi
coqui oy ty trr
turri huit teo turri quibi
frian fi ti trr tycun
quio fouquet fi fi frr
Voici donc deux interprétations du ROSSIGNOL de Janequin
Et voici trois interprétations du Chant des oiseaux, dont la dernière avec partition
LE ROSSIGNOL EN AMOUR, LE ROSSIGNOL VAINQUEUR
DE FRANÇOIS COUPERIN
François Couperin (1668/1733) est un compositeur français dont l’essentiel des compositions est dédié au clavier (orgue ou clavecin). Considéré comme le grand maitre du clavecin il laisse un nombre important de pièces pour cet instrument rassemblées dans 4 livres.
LE CHANT DU ROSSIGNOL
IGOR STRAVINSKY

Le rossignol est un opéra inspiré du conte d'Andersen LE ROSSIGNOL ET L'EMPEREUR DE CHINE crée en 1914 à l'Opéra de Paris.
À la suite de l'opéra, Stravinsky compose le poème symphonique LE CHANT DU ROSSIGNOL en 1917 qui sera créé à Genève en 1919, puis représenté sous le forme d'un ballet à l'Opéra de Paris dans une chorégraphie de Léonide Massine avec des costume d'Henri Matisse.
Cependant, Stravinsky nous dit dans son autobiographie, que le concert rend mieux justice à ce poème symphonique, dont la partition est complexe par ses timbres raffinés et ses recours à la polytonalité.
Dans l'ensemble du poème symphonique c'est à la flûte qu'est confié le rôle du rossignol, mais n'attendons pas ici une vérité ornithologique, Stravinsky s'arrête plutôt sur un “caractère”, celui du rossignol ou plus exactement sa symbolique.
La pièce est composée de trois parties, et c'est au début de la troisième que nous entendons une cadence pour flûte (partie réservée à un soliste) évoquant un pleu plus précisément le chant du rossignol.
LES PINS DE ROME:
OTTORINO RESPIGHI

Enfin, comment ne pas nous arrêter un instant sur le poème symphonique de Ottorino Respighi composé en 1924 et intitulé Pini di Roma (en français : Les Pins de Rome).

Cette oeuvre est tout simplement historique dans la mesure où elle est sans doute la première “musique mixte” (associant les ressources de l’orchestre symphonique aux moyens électroacoustique).
En effet, le troisième mouvement (les pins du Janicule) fait entendre le chant crépusculaire d’un rossignol intégré à la composition enregistré sur un phonographe, ce qui n'avait jamais été fait auparavant. La partition recommande l'usage de l'enregistrement n° 6105 de la Deutsche Grammophon "Il canto dell'usignolo" ainsi que du tourne-disque Brunswick Panatrope.
Ici, nous sommes certains de la vérité ornithologique du chant de l’oiseau, dans la mesure où il s’agit d’une prise de son de de terrain.

Chaque numéro de L'INDICATEUR accorde en pied de page un espace à la présentation du travail d'un audio-naturaliste, d'un artiste ou encore d'une personne ou d'une structure jouant un rôle remarquable dans cette discipline:

Aujourd'hui : l'incontournable association

SONATURA

SONATURA A 20 ANS !
(par Pascal Dhuicq, président)
Sonatura est l’association à but non-lucratif regroupant les audio-naturalistes (1) francophones, dédiée à sensibiliser à la nature par l’approche sonore et par la diffusion de sa revue audio éponyme.
Celles et ceux qui ont vu apparaître cette micro-édition au fil des années 2000 ne se doutaient peut-être pas que sa genèse remontait déjà au début de cette décennie-là. Pourquoi donc cet avènement est-il longtemps passé inaperçu ?

- Sans doute la naissance de Sonatura n’a-t-elle pas été fracassante. Elle n’a guère été relayée par notre société de l’image, malgré l’énergie de ses fondateurs ;
j’ai nommé (par ordre alphabétique pour ne pas classer ces inventeurs d’égal mérite) : André et Odile Boucher, Fernand Deroussen et Philippe Vuillaume, encouragés par Jean-Louis Sicaud.
- Sans doute aussi parce que, selon leur volonté, Sonatura n’a pas été fondée dans l’optique de réunir des adhérents au sein d’un large mouvement associatif mais de lancer une œuvre collective d’édition périodique, amenée à progresser au fil des seuls abonnements.
Le lancement d’un tel projet voulait en effet répondre à l’attente d’un public disséminé mais avide de découvertes et de partage dans le domaine des sons de la nature. Ces anciens de l’Oiseau Musicien (2) avaient bien ressenti ce besoin de témoigner par l’audio de la beauté du monde, leur passion à l’écouter et l’observer. L’idée était là : se transmettre mutuellement tous ces trésors pour ne pas les laisser dormir dans un fond de tiroir. Le reste, c’est-à-dire le ferment qui nourrit l’émulation, devait venir après, se nourrissant de l’envie de chacun de participer à l’aventure.

Je parle d’aventure intérieure : communiquer la passion du beau son et de la belle nature, devait-elle se cantonner au balcon, comme pour notre regrettée Lucile Longre, ou à peine plus loin, au fond du jardin comme nous l’avons tous fait à cause du confinement de 2020 (album CD spécial n° 19 de la revue).

Je parle d’aventure extérieure aussi, non seulement dans l’exploration des antipodes par des globe-trotters infatigables tel Fernand Deroussen, notre premier président en date, mais aussi via nos correspondants expatriés à Taïwan, Québec, Sécheylles ou nos membres à l’étranger : Belgique, Suisse, Espagne. Assurément, Sonatura devait s’affirmer comme l’unique revue sonore francophone dédiée à la nature. Outre les auteurs, c’est tout une grande famille d’auditeurs (pour certains pratiquant la prise de son aussi) qui allait s’étendre à travers les continents : Grande Bretagne, Norvège, Birmanie, Pologne, Maroc, Canada, Australie, Slovénie… Oui, ce que ces dernières décennies n’auront pas démenti, c’est qu’à l’image de la mondialisation, la conscience environnementaliste ne doit pas avoir de frontières !
Se pose un dilemme. À l’heure où le “ flygskam ” (la honte de prendre l’avion) emboîte le pas au « black-out » aérien du confinement planétaire – à la grande satisfaction des “sonaturalistes” eux-mêmes, en « quête du silence » (3) des hommes (4) – que faut-il penser de notre propension à voyager ? Hé bien, j’en suis sûr : Dame Nature nous pardonnera !
  • Parce que servir ce “voyage intérieur ” jusque dans votre salon ou dans votre poche vous comblerait peut-être assez pour renoncer à prendre le volant et vous évader ?...
  • Parce qu’aussi, cette curiosité de nature, nous l’avons transmise au centuple au fil des ans. Vingt années : une génération ! Les nouveau-nés de 2004, conscrits de Sonatura, à l’âge de dix ans, ont peut-être rêvé à l’écoute de nos plages (sonores) lointaines ? Depuis, peut-être ont-ils embrassé la carrière de protecteur de la nature, de scientifique, de vétérinaire ou bien à leur tour, de témoin (artiste, enseignant, animateur…) ? Bien sûr, Sonatura ne tient pas de décompte des jeunes qu’elle aurait ainsi enrôlés, ni des centaines d’auditeurs qui ont écouté ses dix-neuf albums (dont dix-huit sur support CD). Elle ne comptabilise plus les spectateurs à ses représentations publiques, les milliers d’internautes qui ont écouté et lu ses articles du blog, des forums, des groupes de discussions.
Combien de citoyens du globe aurons-nous enchantés par le “Chant du Monde” ? Combien d’adeptes exaltés à l’écoute du “Son de la Terre” (5) ou de cette “Symphonie animale” (6) prise soudain comme une évidence ?

Et quand bien même nous aurions failli à lancer des vocation naturalistes… nous espérons au moins, en prêtant l’oreille à toutes et tous, avoir contribué à rassembler la communauté audio-naturaliste. Par son audience constante, sa présence patiente, le collectif a fini par faire entendre sa voix, celle de la nature. Le slogan de nos initiateurs n’était-il pas d’ailleurs écrit en toutes lettres : “La nature prend la parole” ?

Ainsi, d’éditeur, Sonatura est devenue association de passionnés grossissant à plus de 540 sympathisants (abonnés puis membres puis simple participants aux groupes). Au moment de fêter ses vingt ans, elle accueille 1200 inscrits sur son groupe FaceBook ! Que de chemin parcouru depuis qu’en 2008, les administrateurs et les « fidèles » décidèrent derechef d’ouvrir le collectif à la grande communauté des passionnés ! Oui, notre “mouvement” a profité de l’engouement pour ce retour à la nature "into the wild” , “pour la miniaturisation des enregistreurs numériques” et le “do it yourself ” dans la musique et le “field recording”.
Certes, ce besoin s’exprime dans l’envie et la demande de nature, les bains de forêts, le “Zen” et le bien-être. Mais si c’est aux sons de la nature que l’on vient en 2024, n’est-ce pas aussi par besoin de connaître et protéger ?
Hélas, il reste un long chemin pour que le crédo de notre « Internationale » francophone porte ses fruits aux côtés de nos homologues anglosaxons :
  • D’une part, éduquer à l’écoute non seulement de la nature, mais du monde. Que nos concitoyens ne soient pas pris de panique par le vrombissement d’un hanneton, ne tirent pas les corbeaux “de mauvais augures”, ne dispersent pas les dortoirs d’étourneaux bruissant dans l’allée…
  • D’autre part, – et cela en découle – rien moins que redonner une place au son dans le rapport à l’image. Certes, la fiction ou le documentaire sont encore des mondes d’illusions et il n’y aurait pas de mal non plus à vouloir provoquer l’hallucination (auditive). Mais tant que le commun des spectateurs se fera servir de la buse comme cri de vautour (bref, des vessies pour des lanternes !), pourquoi devrait-il aussi retenir que ce rapace n’emporte pas les nourrissons ?
Tout est lié. Ainsi, l’éducation à la nature n’est pas prête à chaumer, et le preneur de son naturaliste devra ne plus se cacher, sauf pour cueillir quelque belle scène de vie sauvage.

Heureusement, dans sa grande indifférence des hommes, la planète a jeté l’opprobre sur le grand brouhaha, certes au prix fort pour des millions d’humains victimes de la pandémie, mais à la grande surprise des survivants qui découvraient que l’humain n’habite pas seul la Terre… Qu’il y a aussi des oiseaux ou des crapauds dans “le grand orchestre animal ” (7). Signe des temps : ce constat fut pointé dans la presse par un collectif de bioacousticiens alertés par le sort du silence dans notre monde anthropisé (8).

Est-ce à dire que l’homme de science partage la même vision du « monde du silence » (9) ? Il est pourtant loin le temps où les Jean-Claude Roché, l’auto-proclamé “ornitho-mélologue” ou Claude Chappuis, ornithologue amateur, pouvaient isolément faire progresser la connaissance. Des armadas de collecteurs quasi-anonymes produisent désormais par giga-octets des enregistrements d’espèces sur Xeno-Canto ou dans des banques de son libres de droits. Des adeptes du “field-recording” et d’audiovisuel engrangent des années entières de séquences d’ambiances aux côtés des programmes d’éco-acoustique amenées à traiter des masses astronomiques d’informations. Les algorithmes d’intelligence artificielle au cœur des avancées actuelles transforment le naturaliste en informaticien comme précédemment l’ornithologue en statisticien. Ainsi, au milieu des scientifiques, l’audio-naturaliste qui prête son oreille à la beauté des voix de la Terre est-il destiné définitivement à affirmer cette mission éthique.

Aux scientifiques la mission technique ? Nous sommes encore nombreux à penser que « la Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »… Et j’en veux pour preuve le revirement opéré par le milieu de la recherche, sorti de sa « tour d’ivoire » au cours de dernières décennies contre le climato-scepticisme puis la “sixième extinction“. L’heure n’est plus à l’indifférence et les lettres ouvertes publiées par des collectifs internationaux de chercheurs sont légion, notamment en faveur de la biodiversité.

Car qu’adviendra-t-il de tout cette biodiversité sonore sous le rouleau-compresseur de l’Humanité ? L’ode d’un rossignol aura-t-elle encore des témoins comme le poète, le musicien ou l’audio-naturaliste ? Notre société a-t-elle entièrement compris la double valeur naturelle et culturelle des chants des animaux et des bruissements des éléments ? Ce patrimoine que nous empruntons à nos enfants ne sortira pas entier de la disparition des espèces et de la cacophonie consumériste qui advient. Oui, “Le bruit, c’est la nous répond-on parfois. Mais qu’est-ce que le vacarme alors ? Et spécialement celui de la Machine dans lequel Robert Murray Schafer (10) percevait la nouveauté à l’échelle du développement humain ; une oppression permanente par sa régularité et son aphasie.
Couverture du numéro 15 de la revue sonore Sonatura dédiée à l’audio-naturalisme. Le Rossignol philomèle y figure sur le CD et dans le livret par deux séquences de chant de ce soliste surdoué, l’un d’eux fut enregistré par André Boucher et sa regrettée épouse, co-fondatrice comme lui.
Aussi, quel sera le rôle de l’audio-naturaliste désormais ? Le rapport signal / bruit du matériel de prise de son et de post-traitement ne progresse plus dans des proportions connues ces vingt dernières années. Du moins ne croît-il pas au point de mériter l’investissement que les constructeurs en demandent, quand bien même les économies d’échelles dues à la progression du marché le tasserait-il. Mais surtout, à quoi bon cet ultime gain technique quand le bruit de fond environnant couvre perpétuellement comme de la “crasse acoustique” la “toile de fond”, celle-là même que certains terriens n’imaginaient pas avant 2020 ? Ne nous mentons pas : le « monde d’après » s’avère bien pire dans un futur proche. L’amoureux de la nature et du silence se promet à une croisade sans fin. Tout juste peut-il espérer un lent progrès dans la maîtrise du bruit. Mais qu’on se le dise, ce progrès sera technologique et non sociologique. En effet, si l’Homme peut être son propre moteur d’évolution morale, celle-ci fluctue à travers les âges. Seul le progrès technologique imite celui de l’Évolution darwinienne sans retour en arrière. Nous pouvons seulement espérer influer à grand renfort de conviction et de passion.
En définitive, dorénavant sans doute, s’éclaire la vocation de l’audio-naturaliste non pas d’explorer à tout prix mais de témoigner. En archiviste des fonds sonores dont il est dépositaire, il lui incombera de rendre audibles les secrets du vivant. Il devra faire découvrir autant qu’il découvrira tous ces joyaux de diversité et de beauté. Il est le porte-parole et le porte-voix de la nature.

Pour tout savoir sur Sonatura : rejoignez son site/audioblog qui vous renvoie vers des extraits sonores, des articles, les forum et liste de discussion et le groupe FaceBook :
(1) du terme « audio-naturalisme » usité dans les années 70 par le cinéaste animalier Jean-Louis Lecoeur et inventé une seconde fois par le preneur de son naturaliste Fernand Deroussen dans les années 2000.
(2) association de preneurs de son, ornithologues et naturalistes, créée dans les années 1970 par son emblématique chef de file Jean-Claude Roché, puis portée des années par François Charron.
(3) Cf. le film « La quête du silence » de Julien Guéraud (Ushuaïa TV, 2022) relatant cette quête de l’audio-naturaliste. https://www.laquetedusilence.com
(4) Cf. le double album CD « Silence des hommes » de Fernand Deroussen (Nashvert Production / édition Naturophonia) témoignant des paysages sonores alpins durant ce confinement de 2020. https://www.chiff-chaff.com/fr/home/546-silence-des-hommes-trois-mois-seul-avec-les-sons-de-la-nature-2-cd-fernand-deroussen.html
(5) Cf. l’ouvrage de Jérôme Sueur « Le son de la Terre » éditions Acte Sud et Radio France, 2022. . https://www.actes-sud.fr/catalogue/nature-et-environnement/le-son-de-la-terre
(6) Cf. l’ouvrage (et DVD) « Symphonie animale » d’Antonio Fischetti et Stéphane Quinson, édition Arte et Vuibert, 2007.
(7) Cf. l’essai de Bernie Krause du même nom : « Le Grand Orchestre animal », collection « Nouvelle bibliothèque » scientifique, éditions Flammarion, 2013 https://editions.flammarion.com/le-grand-orchestre-des-animaux/9782081445383 ou encore l’album du preneur de son naturaliste Boris Jollivet « Orchestre animal », 2009, diffusion Chiff-Chaff. https://www.fnac.com/a2654236/Boris-Jolivet-Orchestre-animal-CD-album
(8) Cf. Tribune du Monde du 11 mai 2020 intitulée « Cette crise doit nous apprendre à protéger l’autre de nos bruits » avec pour chef de file Jérôme Sueur, éco-acousticien au Muséum National d’Histoires Naturelles de Paris.
(9) Cf. le film de Jacques-Yves Cousteau, si mal nommé « Le monde du silence » (1956).
(10) Cf. son ouvrage fondateur « Le paysage sonore, le monde comme musique », traduit de l’anglais par Sylvette Gleize, aux éditions « Wild Project », collection « Domaine sauvage » ; Préface : Louis Dandrel, Jean-Claude Risset - Postface : Christian Hugonnet, Patrick Susini, Nicolas Misdariis. https://wildproject.org/livres/le-paysage-sonore

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