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LA RENCONTRE
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Sur la “Terre du Ciel Bleu”, la lumière entre très tôt en ce début d’été, juste au-dessus de moi, par la “toono”, cette petite fenêtre ronde qui chapeaute la “ger”, la tente de feutre des nomades mongols.
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Les nuits sont très fraiches, ici.
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Il est vrai que je suis à plus de 1600 mètre d’altitude, dans une steppe boisée entourée de hauts sommets, en lisière d’une forêt de résineux.
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Le Parc national Gorkhi-Terelj, est juste à 70 km de la capitale Oulan-Bator, dans la zone protégée des Monts Khentii. Si les murs de feutre et de laine m’ont bien isolé du froid, il me reste cette curieuse impression d’avoir dormi en plein air tant les sons de la nature qui m’entoure sont perpétuellement présents avec une étonnante netteté dans la yourte.
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C’est tout un paysage sonore qui se présente à mon écoute alors que je reste plongé dans la pénombre, les yeux fixés sur ce petit rond de ciel bleu qui me surplombe. Curieusement, j’ai l’impression d’être au centre tant les sons viennent de tout autour… et je perçois le loin, le près, le mobile, ce qu’il se passe au sol ou en hauteur…
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Je devine déjà les débats agités des Craves à bec rouges nombreux et sonores, semblant se chamailler en vol au-dessus des rochers, pierriers et falaises. Sans doute très haut, bien au-dessus, un couple de grands corbeaux survole et inspecte son vaste domaine tout en échangeant des vocalisations qui sont comme des mots, chargés d’intonations et d’expression, presque humaines.
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Sans doute, juste derrière la porte de bois peinte en rouge, bientôt au soleil, un Traquet motteux émet des trilles légers, fragiles, timides.
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Un peu plus loin, en direction de la lisière de la forêt mixte, des mésanges, nombreuses et diverses, égrènent des guirlandes de sons cristallins, insistantes, qui sans doute appellent les premiers rayons du soleil qui, bientôt, va poindre derrière les sommets pour donner à cette journée une allure de canicule. Des jeunes éperviers appellent leurs parents, crient famine, sans relâche, à mi-hauteur dans les arbres tandis qu’au sol, le Pic noir observé la veille prend déjà son premier bain de fourmis, poussant de temps en temps des petites exclamations peu sonores, discrètes même, comme on se parle à soi-même. Puis il fouille et refouille entre les feuilles et les épines.
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En fin de compte, s'offre à moi un paysage sonore quotidien, ordinaire, confortable, sans grandes surprises… rien de bien spectaculaire.
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Mais c’est un autre chant qui me pousse à sortir de la confortable pénombre de la yourte, pour aller vérifier en pleine lumière qui peut bien être ce soliste, que je devine petit, perché au sommet d’un arbre, et qui déverse avec détermination des torrents de gaité, d’optimisme et de musique à venir.
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Aveuglé de lumière, je m’oriente vers la lisière de cette forêt mixte, dominée cependant par les résineux, dans laquelle je pénètre lentement, prudemment, progressant à l’oreille. Le sol couvert de feuilles mortes, d’aiguilles de pins et de branchages secs rend mes déplacements trop sonores, pas possible d’enregistrer en marchant comme je le fais quelques fois. De plus la “clameur” des innombrables insectes me surprend. La steppe, en cette saison, stridule perpétuellement, de jour comme de nuit, mais en forêt beaucoup plus fraiche et ombragée, cela me surprend. J’en profite pour m’immobiliser afin d’enregistrer un plan large sur les insectes de la forêt avant d’aller plus loin… Presque à mes pieds, le pic noir déjà repéré la veille, prend son bain de fourmis, se roule dans les feuilles mortes, fouille le sol et commente doucement la situation …
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Je reprends ma lente progression jusqu’à arriver en un point où j’estime pouvoir enfin m’immobiliser pour un enregistrement de qualité. Je m’approcherai encore… plus tard… si je le peux… si je réussis à ne pas faire fuir mon chanteur.
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Le chant est énergique, détaché, subtil… l’oiseau me semble perché, tout en haut d’un mélèze, il se déplace de temps en temps, il s’agite… presque invisible !
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Il chante avec conviction, comme s’il était chargé de clamer une vérité, comme s’il était porteur d’un message important adressé à la nature tout entière.
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Bien entendu je n’ai pas la moindre idée du nom de mon soliste.
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Mais ce n’est pas essentiel pour le moment.
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Je suis sous le charme d’une musique énergique louant le lever du jour… avec une telle vigueur !
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Je sais que j’en ferai quelque chose, j’en suis certain … mais quoi…
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Mon soliste n'est pas bavard, son discours est riche, intarissable, généreux, ce qui me laisse le temps de le chercher du regard… mais je n’ai pas de jumelles… et surtout j’ai le soleil dans les yeux… difficile… si je le devine au sommet de l’arbre c’est principalement par ce que ma parabole indique la direction avec une grande justesse… mais je ne vois rien de bien précis… si ce n’est cette petite agitation au bout d’une branche… Mon chanteur semble se confondre avec son environnement.
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Je pense que quand on chante si bien, on n’a pas forcément besoin de faire de grands efforts vestimentaires, c’est le cas de nombreux grands virtuoses !
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Je vis l’instant à fond et c’est ça qui compte pour le moment. Je suis seul en face d’un oiseau certainement microscopique... seul à seul avec un inconnu…
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J’aurai tout mon temps, plus tard, en studio, de lui donner un nom.
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Et en effet, c’est bien plus tard, en France, dans mon studio, que je me lance en quête de l’identité de cet oiseau… Dans mes haut-parleurs ne me reste plus que le son, excellent, mais aveugle. L’image, déjà fragile, n’existe plus que dans mon souvenir, précieuse.
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Je consulte toute ma documentation écrite et sonore, questionne autour de moi tout ce que je connais d’ornithologues aux oreilles aiguisées, de familiers de l’Asie Centrale, d’ornithomélologues ou connaisseurs de chants d’oiseaux. Mais qui connait bien les oiseaux de Mongolie ? Et qui serait capable de les nommer, de les reconnaitre à leur chant ? Toutes mes recherches, au bout du compte, après beaucoup d’hésitations, finissent par converger vers un nom :
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Le Pouillot de Pallas (phylloscopus proregulus).
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Le Pouillot de Pallas, est un tout petit oiseau très ordinaire, au plumage d’une grande discrétion… mais grand chanteur, tant par l’inventivité vocale que par la puissance sonore.
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L’instant de la prise est bien présent, gravé dans ma mémoire, lié au souvenir d’un paysage, sa lumière, la fraîcheur du matin, les stridulations de la forêt, cet inimitable parfum de Mongolie.
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Je vérifie que ce pouillot originaire de la taïga du sud-est de la Sibérie, de la Mongolie et de la Chine, peut occasionnellement se rencontrer en Finlande. Il ressemble à un Roitelet triple bandeaux, tant par la taille (de 4,5 à 7,5 grammes) que par sa forme et les bandeaux de couleur soulignant ses yeux. Il passe souvent l’hiver au sud de la Chine et les pays voisins. Très mobile il capture les insectes sur les feuilles en faisant du surplace en vol. Il est commun dans toutes les forêts de conifères et mixtes au-dessus de 1 500 m et niche dans les arbres.
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Les pouillots, comme le dit leur nom latin, constituent une famille “d’inspecteurs de feuilles”, une caractéristique qui en dit long sur le mode de vie de ces minuscules oiseaux. Phylloscopus désigne une cinquantaine d’espèces de petits passereaux insectivores.
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Souvent repéré par son chant, le pouillot devient Warbler (gazouilleur) en anglais ou encore Laubsänger (le chanteur des feuillages) en allemand.
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En langage vernaculaire, pouillot ou pullus, désigne simplement un tout petit animal.
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Et pourquoi “de Pallas” ?
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Tout simplement du fait qu’il emprunte son nom au zoologiste et botaniste allemand Peter Simon Pallas (1741-1811) qui a été le premier à en faire une description précise à l’issue d’une expédition en Asie Centrale, commandée par l’impératrice de Russie Catherine II. Expédition consacrée à la découverte de régions inconnues à la fin du 18ème siècle. Pallas y découvrira effectivement plusieurs espèces d’oiseaux qui presque tous porteront son nom, ainsi que quelques espèces végétales.
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LA COMPOSER UNE PIÈCE MUSICALE
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Dès la première rencontre, une chose était certaine : l’oiseau, quel que soit son nom, deviendrait l’objet même d’une composition. Le chant du Pouillot de Pallas serait placé au centre d’une réalisation sonore qui s’attacherait à faire revivre cet instant si particulier de la prise de son : le paysage, sa lumière, la fraîcheur du matin, les stridulations de la forêt, ce parfum de Mongolie.
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La composition s’intitulera “Lever du jour” ou encore “Sunrise” ou encore “Mandah Naar”, ce qui signifie la même chose en Mongol, et j’y associerai la présence d’un “yatga”, cette grande harpe caractéristique de la musique mongole pour laquelle j’ai déjà composé plusieurs fois.
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Pour cela, comme à mon habitude, j’explorerai l’enregistrement en détail, par le biais du ralenti, pour en saisir les moindres subtilités mélodiques et rythmiques, les moindres nuances vocales et surtout l’organisation des phrases, la teneur du discours musical, tout ce qui se présentera à moi comme proposition musicale à travailler, tout ce qui sera thème à développer. En clair, tout ce qui me permettra aussi de valoriser le chant de l’oiseau, sa musicalité pure.
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Les séquences présentées ici au ralenti ne sont l’objet d’aucun montage en studio, le chant de l’oiseau est parfaitement respecté et aux trois vitesses il s’agit du même extrait de la séquence présentée plus haut. Nous constatons que le chant se divise en nombreuses phrases successives, de formes et de mélodies très diversifiées. En revanche chacune de ces phrases débute par un petit “incipit” : tout petit motif constitué de trois notes séparées par des intervalles assez larges. Ce petit incipit constituera l’essentiel de la partie instrumentale.
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LEVER DU JOUR / MANDAH NAR
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Mandah Nar signifie Lever du Jour. C'est un thème très populaire en Mongolie à partir duquel Chinbat Baasankhuu a composé une pièce fondée sur une série de variations très virtuoses, d'une très grande qualité d'écriture.
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La pièce, entièrement acousmatique, fait appel à des séquences musicales enregistrées en studio. Elle est intégrée à la Sonate pour Yatga dont elle constitue le premier mouvement .
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Ce mouvement, construit sur des oppositions “intérieur/extérieur”, propose des variations et recherches de timbres par traitement des sons instrumentaux enregistrés en studio. Il souligne des similitudes entre certaines formules du chant de l’oiseau et certains gestes instrumentaux.
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Alors que les sons d'origine instrumentale sont entendus de manière très présente en début de la pièce, ils vont sembler s'éloigner progressivement alors même que le chant de l'oiseau va nous apparaitre de plus en plus proche. Ce rapprochement très lent et progressif fait référence à la prise de son sur le terrain, très longue, réalisée pendant l’approche de l’oiseau “à l’oreille”.
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Dans la pièce instrumentale originale, en introduction aux nombreuses variations sur le thème principal, Chinbat Baasankhuu a composé, puis interprété en studio, une courte introduction fournissant l'essentiel de la matière instrumentale utilisée dans ce mouvement. Il se trouve, en effet, que cette courte introduction se prête particulièrement à des traitements et montages typiques de l'écriture électroacoustique (utilisation des programmes Grm/Tools). De plus, la formule initiale (sorte d'incipit) se trouve particulièrement proche de l'incipit du chant de l'oiseau, la chose étant très perceptible lorsque celui-ci est ralenti. De même, les deux motifs semblent parfaitement accordés, comme composés l’un pour l’autre.
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L’ensemble, dont le déroulement est volontairement lent et calme, joue sur des notions d'espaces, de transparences sonores et s'attache à valoriser la dualité Naturel/Culturel.
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Chaque numéro de L'INDICATEUR accorde en pied de page un espace à la présentation du travail d'un audio-naturaliste, d'un artiste ou encore d'une personne ou d'une structure jouant un rôle remarquable dans cette discipline:
Aujourd'hui l'artiste photographe:
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Les photographies d'Olivier Penel sont à la fois très nombreuses et très diverses. Celles qui sont présentées ici le sont en petit format... mais il vous est possible de les agrandir tout simplement en cliquant l'image voulue.
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Olivier vous donne rendez-vous sur Facebook ou Instagram
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Olivier Penel est un photographe naturaliste vivant dans la Drôme et exerçant ses talents principalement autour de chez lui.
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Nous avons rencontré une personne sachant s’émerveiller, puis nous émerveiller, par son regard sur des choses simples, naturelles, tellement vivantes, que nous ne leur prêtons pas toujours attention. Depuis quelques années, ses publications sur les réseaux sociaux surprennent, réjouissent, suscitent l’admiration et l’enthousiasme d’un public grandissant.
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Comme photographe animalier il a su très rapidement se hisser au niveau professionnel, ne nous proposant pas uniquement de “belles photos” mais des images, souvent en séries, qui en disent long sur les comportements des animaux, leurs biotopes. Des visuels riches de valeur scientifique, artistique, et poétique.
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Oliver Penel, exerce un regard humble et précieux sur la nature dans laquelle nous vivons.
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Aussi l’avons-nous rencontré pour recueillir quelques mots d’une personne discrète, qui ne se raconte pas mais nous propose juste de voir le monde du bout d’un objectif qu’il manie avec une rare dextérité.
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PHOTOGRAPHIER LA NATURE ET LE MONDE ANIMAL
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« J’ai toujours aimé la photographie et la nature, au début, j’utilisais juste un simple téléphone, un peu comme tout le monde… Puis pour mes 50 ans, mes filles m’ont offert un bon appareil photo doté un bon télé-objectif et c’est à partir de là que je me suis lancé sérieusement dans la photographie naturaliste dans laquelle il y a des paysages, bien sûr, mais aussi et surtout des animaux, des oiseaux…
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Je travaille beaucoup chez moi, ou autour de chez moi (à Claveyson, près de Saint-Donat dans la Drôme) ou j’ai aménagé des espaces propices à la photographie de toutes ces espèces communes que pourtant on ne connait jamais très bien.
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De très nombreuses personnes me posent la question : Mais où peut-on rencontrer autant d’espèces si diverses ? Je réponds : Autour de chez moi, autour de chez vous !
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J’y j’ai repéré environ 80 espèces… Et il m’en reste beaucoup à photographier.
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Mais aussi, je pars souvent travailler en pleine nature et je commence à bien connaitre le Vercors, ses plateaux et ses sommets, ainsi que la Drôme des collines. Je ne crains pas les longues marches, les sites difficiles d’accès sur lesquels je reviens très souvent, ce qui me permets de bien les maitriser.
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La faune sauvage y est bien présente, variée, et en toutes saisons.
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Je photographie les paysages surtout quand je ne fais pas de rencontres animales, ou que je bénéficie de lumières intéressantes ! Je n’aime pas beaucoup quand le ciel est tout bleu et uniforme, pour moi il faut toujours qu’il y ait des nuages ou du brouillard qui donnent du relief, nous parlent du moment de la journée ou encore de la saison.
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Enfin, il y a les fleurs !
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Toujours quelque chose à voir…
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Je consacre beaucoup de temps au repérage sur site, à de nombreuses observations longues et régulières, j'y reviens souvent, jusqu’à bien connaitre les lieux, les comportements, les habitudes, les postures, les habitats, les perchoirs etc.
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Des amis me proposent souvent de m’accompagner, mais je ne suis pas guide de zoo, je ne peux rien leur garantir, et il faudrait me suivre, je marche beaucoup, je grimpe, j'escalade, je passe par des endroits qui peuvent être dangereux.
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C’est un travail que préfère pratiquer seul. Un affut peut durer jusqu’à 8 ou 9 heures.
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L’appareil est souvent sur pied, surtout pendant les affuts. Je suis souvent dissimulé dernière un filet de camouflage, mais ce n’est pas systématique.
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Je travaille fréquemment en rafales, avec très grand nombre d’images pour capter le mouvement, attraper une bonne position, surtout pour les oiseaux.
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Mes photos ne sont pas retravaillées, j’interviens éventuellement un peu sur la lumière et le cadrage.
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En revanche le temps de classement et de sélection des images est très long, il se fait le plus souvent et le plus simplement par espèce ou par lieux.
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Pour le moment je publie l'essentiel de mes photos sur FaceBook et Instagram avec plus de 5000 abonnés. À l’automne qui vient une exposition est prévue à Saint-Paul-les-Romans dans la Drôme.
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Un site Internet est maintenant en création pour une plus large publication, une meilleure promotion et une professionnalisation de mon travail.
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J’ai aussi le projet de développer de plus en plus des petits films, comme celui sur Martin pêcheur fait récemment
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Dans la voiture l’appareil photo est toujours prêt, sur le siège du passager, hors de son étui. La Huppe fasciée, je l’ai cherchée longtemps, elle était au sol, j’étais en voiture, je me suis arrêté, elle s’est perchée sur la branche, c’était la seule photo.
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