L'INDICATEUR N°25


LE BRUANT JAUNE
Emberiza citrinella
Espaces imbriqués











Invité : Pascal DHUICQ
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LE BRUANT JAUNE
Emberiza citrinella

UN CHANT BIEN PARTICULIER

Avec le Bruant jaune nous avons affaire à un chant d’une apparente grande simplicité, mais précisément son caractère répétitif, sa régularité dans le débit et les intensités, en font un marqueur sonore clair et lisible, prenant toute sa valeur au cœur des journées estivales. Le Bruant jaune, perché, immobile, souvent visible, distille alors longuement et généreusement, un parfum de saison et nous en dit long sur le paysage agricole auquel il imprime une atmosphère calme et statique.
LE BRUANT DE FRANCE SELON BUFFON

Au tout début du long article consacré à cet oiseau dans son Histoire Naturelle, le naturaliste Buffon, au 18ème siècle, nous dit :

Le tubercule osseux ou grain d’orge que cet oiseau a dans le palais est le titre incontestable par lequel il prouve sa parenté avec les ortolans : il a encore avec eux plusieurs autres traits de conformité, soit dans la forme extérieure du bec et de la queue, soit dans la proportion des autres parties et dans le bon goût de sa chair.

Puis en note il rajoute :

Sa chair est jaune, et l’on n’a pas manqué de dire que c’était un remède contre la jaunisse, et même que pour guérir de ce mal, il ne fallait que regarder l’oiseau, lequel prenait la jaunisse du regardant et mourait…
… Les Bruants Jaunes se tiennent l’été autour des bois, le long des haies et des buissons, quelquefois dans les vignes, mais presque jamais dans l’intérieur des forêts :
l’hiver, une partie change de climat ; ceux qui restent se rassemblant entre eux, et se réunissant avec les pinsons, les moineaux, etc., forment des troupes très nombreuses, surtout dans les jours pluvieux : ils s’approchent des fermes, et même des villes et des grands chemins, où ils trouvent leur nourriture sur les buissons et jusque dans la fiente des chevaux, etc.
Dans cette saison ils sont presque aussi familiers que les moineaux. Leur vol est rapide, ils se posent au moment où on s’y attend le moins, et presque toujours dans le plus épais du feuillage, rarement sur une branche isolée. Leur cri ordinaire est composé de sept notes, dont les six premières égales et sur le même ton, et la dernière plus aiguë et plus traînée : ti, ti, ti, ti, ti, ti, ti.
ONOMATOPÉES ET MIMOLOGISMES CHEZ PAUL GÉROUDET


En complément, Paul Géroudet s’arrête sur les émissions vocales de l’oiseau, chant et alarmes, faisant un large usage des onomatopées et des mimologismes. (Il est clair qu’il y a une cinquantaine d’années les ouvrages ornithologiques consacrés aux oiseaux ne disposaient pas des moyens actuels d’enregistrement et de reproduction des sons, et naturellement, depuis des temps immémoriaux, des techniques descriptives des chants s’étaient fixées, souvent avec une grande précision… et chacun savait les lire ou les reproduire).

Le cri ordinaire de l'espèce est un tzic ou tzit d'une résonance spéciale, presque métallique. A l'envol, il se mêle à des tziurr ou tsitsurr ; un rappel ou avertissement avec un son final plus clair : trrrui-tut ... , trruitrrui-tui ... est moins fréquent, de même qu'un sîh d'anxiété, fin et doux. Perché dans un arbre ou sur une haie, le Bruant jaune peut rester longtemps immobile en répétant à satiété un appel aspiré et expiré sur deux tons : h'tui-tchih ou h'tuî-tieuh ; quand il égrène ces deux notes un peu tristes, on dirait qu'il trompe l'ennui de l'attente ... mais ce n'est sans doute pas le sens exact !

Dès le mois de février, quand le mâle commence à se détacher de ses compagnons d'hiver, il se met à chanter, et il ne s'arrête guère jusqu'en août, moment où sa vie s'oriente de nouveau vers la société ; parfois on l'entend en septembre, et il reprend irrégulièrement sa strophe en octobre. Perché en évidence à la cime d'un buisson, d'un arbre, d'un poteau, le bel oiseau jaune gonfle la gorge, lève la tête, ouvre largement le bec et lance un couplet d'une simplicité extrême : tsitsitsitsitsitsi-tsîh ... C'est la répétition sur le même ton d'une note bien frappée, avec, en guise de point final, un son appuyé et un peu prolongé, tantôt plus haut, tantôt plus bas : titstitititi-tyh. ... Émise à intervalles assez longs, cette phrase paraît monotone, invariable ; toutefois, en y prenant garde, on remarque des variantes individuelles et régionales, soit que le chanteur accélère son débit ou omette la conclusion -c'est à le confondre parfois avec un Bruant zizi- soit qu'il double ou triple cette dernière : tsitsitsitsitsitsi-hîtsyh ...
Tôt éveillé, le Bruant jaune se fait entendre dès l'aube, et à toute heure du jour jusqu'à la nuit tombante.

Dans le même ouvrage consacré aux passereaux, Michel Cuisin ajoute en notes :

Des dialectes ont été décrits en Allemagne (2 types de strophes comprenant eux-mêmes des variantes). En Sibérie occidentale, les chants des Bruants jaune et à calotte blanche (E. leucocephala) sont très semblables (les deux espèces vivent en sympatrie), mais présentent quand même de fines différences perceptibles ; on a signalé des croisements, mais les deux espèces n'ont pas du tout la même coloration
PETITE ANALYSE DU CHANT

La structure d’une phrase type est parfaitement lisible dans l’analyse sonagraphique autant que dans les descriptions que nous livrent Buffon et Géroudet, ou encore dans l’enregistrement utilisé pour la composition musicale… Il est toujours aussi passionnant de ralentir ce chant, par paliers successifs, pour apprécier à la fois la complexité de chacun des motifs et les qualités de timbres propres à cet oiseau.
Une image de...
LE MIROIR DES OISEAUX
le Miroir des Oiseaux, dans une suite d’une dizaine de pièces électroacoustiques, tente la présentation fidèle du portrait d’un individu sur un fond musical qui seul semble faire l’objet d’une véritable composition.
Le Miroir des Oiseaux rejoint ainsi le modèle d’écriture le plus fréquent en musique électroacoustique : la figure sur fond. Mais ici, contrairement aux habitudes, le fond est l’objet de tout le travail compositionnel. Alors que le portrait de l’oiseau est présenté comme figure, de la manière la plus fidèle et la plus réaliste, le fond tente d’être le reflet de l’oiseau, une réponse à ses propositions musicales.
Il s’agit donc d’une composition “en miroir”, permettant d’entendre le sujet dans sa vérité ornithologique ou naturaliste, et son reflet dans une vérité poétique, vérité plus grande encore puisque que perçue comme telle par le compositeur et peut être aussi par l’auditeur.
A chaque portrait d’oiseau, le Miroir propose un décor, une mise en situation musicale, un contrepoint, une orchestration, une mise en espace. Chaque fond fait appel à un type d’écriture électroacoustique précis : figures de montage pour l’un, divers degrés de variations de vitesses pour l’autre, lentes évolutions des matières, synthèse sonore, micro-montages et incrustation sur une figuration etc.
Rappelons que le “miroir”, en ornithologie, désigne une zone des ailes ou de la gorge, particulièrement colorée, souvent aux reflets métalliques.

Le chant du bruant jaune fournit la matière musicale à Espaces imbriqués, pièce extraite du Miroir des oiseaux.

Le Miroir des Oiseaux fait l’objet d’un CD/DVD graphiquement mis en forme par Mirana Metzger .
ESPACES IMBRIQUÉS
Rien de plus simple apparemment, que le chant du Bruant jaune. Une formule répétée à l’infini, presque sans aucune variation. Tout au plus l’oiseau nous livre-t-il les éléments séparés les uns des autres quand il ne les assemble pas en une phrase complète. Le jeu de miroir se fait avec une petite improvisation de Louis-Antoine Fort sur un gamelan balinais. Pour être plus précis, il s’agit du simple montage, de l’imbrication de deux improvisations sur des tempi différents et des rythmes variés. Le jeu léger s’accommode du chant de l’oiseau, le plaçant simplement dans un contexte musical simple. Des points de rencontre se font sur des sons obtenus par des chocs des baguettes sur les supports des petites percussions dont est constitué le gamelan. Ces chocs, augmentés d’une importante réverbération marquent, ponctuent ou soulignent les ruptures du chant et délimitent un espace virtuel dans lequel l’oiseau peut se placer au premier plan. Quelques étirements de certaines formules ou quelques bouclages brefs tentent de donner à l’instrument une sorte d’immatérialité, comme une musique intérieure qui se ferait en nous à l’écoute du chant réel et non traité de l’oiseau.
ÉCOUTER LA PIÈCE :

Chaque numéro de L'INDICATEUR accorde en pied de page un espace à la présentation du travail d'un audio-naturaliste, d'un artiste ou encore d'une personne ou d'une structure jouant un rôle remarquable dans cette discipline:

Aujourd'hui l'audionaturaliste

Pascal DHUICQ

ENTRE LA VOIX DE LA NATURE ET LA VOIE DE L'ENGAGEMENT...

Celles et ceux qui ont déjà lu l’Indicateur n° 22 ont pu découvrir l’association Sonatura, éditrice de la seule revue sonore dédiée à la nature, et en apprendre plus sur ses vingt années, célébrées en mars dernier à Charenton-le-Pont, ville de sa création.
Ces années ont montré la diversité des profils venus enrichir cette communauté : après les ornithologues, les naturalistes, les adeptes de la Hi-Fi, s’y sont agrégés des vidéastes, des musiciens, puis des « podcasteurs », des « ingé-son », des « field-recordists », et finalement des bio-acousticiens.
Pourtant, le collectif que j’ai présidé durant quinze ans a connu quelques années durant, une difficile traversée du désert liée au choix du Compact Disc pour diffuser son travail. Pari devenu fou avec l’avènement du tout dématérialisé de la « Grande Toile » mondiale. Il s’est avéré que seuls les rapports humains pouvaient entretenir la flamme du collectif originel. L’expérience antérieure de l’ancienne association « L’Oiseau Musicien », handicapée par la distanciation entre ses membres, faillit donc se répéter. Près de deux décennies plus tard, sa petite sœur Sonatura vivait une crise similaire en subissant l’illusion de l’ère de la télécommunication où plus personne ne se retrouve devant une bière, une paire d’enceintes ou une sauterelle ! Mais le paradoxe n’a-t-il pas toujours été de rassembler des « grives solitaires » ? – S’il s’était agi de « grives musiciennes », passe encore : les musiciens sont réputés plus grégaires que ceux qui les enregistrent !
La Nature est un refuge qui plonge dans le recueillement spirituel. Aussi l'écoute chez l'audio-naturaliste est-elle une recherche isolée. Mais la raison d'être de cette discipline est par essence une expérience à partager. Dans cette schizophrénie je me retrouve : un loup solitaire attiré par la meute.
Je crois bien que certains se reconnaitrons parmi ceux qui me lisent, amoureux de la musique, du son, de la nature...
Quel fut mon propre chemin vers l’audio-naturalisme ?

Dans les années 70, le « petit dernier » que je fus, étourdi et rêveur, ami des bêtes, aimait s’entourer de copains et rêver à travers les cinéastes animaliers (Rossif, Cousteau) ou les émissions dédiées (Caméra au point, Les animaux du monde, Thérion Stratagème). Des rêves d’aventures puis d’explorations naturalistes, nourris de reportages audiovisuels, de dispositifs de prise de vues, de téléobjectifs et de magnétophones ; de récits de voyages et de tournages. Peut-être déjà le goût de rapporter des témoignages ?
Poussé vers le scoutisme, j’éprouvais enfin la vraie nature à la dure dans les années 80. À la faveur d’un coup de cœur familial, j’explorai les Pyrénées. Là, au contact de « Monsieur Papillon » et de son épouse, enseignants en sciences naturelles, j’appris les fleurs, les roches, et que cette ritournelle à peine audible mais rigolote était celle d’une caille… Ce fut une révélation : je me décidai à laisser jaillir la passion qui couvait en moi ! Je me voyais dès lors tantôt « ranger », tantôt scientifique, tantôt « boyscout » militant. Je me plongeai dans les récits de Robert Hainard ou de Paul Géroudet. Un reportage radiophonique de Philippe Fornairon à Malte (une fauvette, un bigband…) me confronta encore à la puissance de l’audiovisuel comme passeur d’émotions vécues. J’achetai mon premier magnétophone à cassettes…
Le CORIF (Centre Ornithologique IdF) devint mon école. J’y rencontrais dès 1989 Fernand Deroussen, l’un de ses cofondateurs qui partageait sa passion sur bande magnétique. Il me présenta à son complice d’aventures : François Charron, président de l’Oiseau Musicien (fondé par Jean-Claude Roché) qui m’encouragea dans cette difficile entreprise d’enregistrer les oiseaux. Pendant ce temps, mes études me portaient vers le droit et l’environnement, histoire de sauver ce qui pouvait l’être encore.
En cette aube du XXIème siècle, après des années d’espoir pour notre environnement, on entreprit de l’enterrer sous le leitmotiv du « développement durable ». Je me retirai de l’engagement associatif pour me consacrer aux sons et paysages naturels, enrichir mes connaissances et mon expérience de la nature. Étudiant, militant, fonctionnaire environnementaliste, animateur naturaliste, j’arborais tantôt le costume, tantôt le treillis, pour plaider la cause de la nature qui se meurt…en silence. Ainsi, je cédai finalement à l’invitation ardente de Fernand de rejoindre l’aventure Sonatura…

Comment ai-je forgé mon intime conviction « audio-écologiste » ?

Accaparé par une vie professionnelle de plus en plus éloignée de moi-même et de la préservation de la nature, je décidai finalement de reprendre mes études afin de me réinvestir dans la voie de l’écologie. Au contact des passionnés de Sonatura, je commençais à croire que son objet – sensibiliser à la protection de la nature par l’approche sonore – pût devenir un projet personnel.
Les dernières années, après des tâtonnements, j’ai consacré enfin mon temps à protéger plus concrètement ma chère nature, à l’étudier, l’enregistrer et témoigner. Aujourd’hui, dans mes interventions, je tente d’inspirer la sauvegarde du vivant en suscitant l’admiration du beau.
J’y dénonce autant le « bruillard » de l’anthrophonie que la « France moche », courageusement décriée par Télérama à dix ans d’intervalle. La laideur du monde crève les tympans comme les yeux.
Il aura fallu une pandémie pour que mon propos, inaudible auparavant, trouve son écho au-delà de notre cercle de convaincus. Les tribunes et les sondages témoignant du mal-être des Terriens face aux nuisances sonores s’amoncèlent. Les films et reportages vantant la quête du Silence font grand bruit. Et rien. Les traités internationaux promettent de freiner la disparition de nos oiseaux chanteurs et de la biodiversité en général. Et rien.
La quête du « beau son » biophonique est une addiction sans fin. Hélas, le quotidien rappelle à lui sans cesse : le professionnel doit « relancer la machine » ; le non-professionnel la délaisser un temps. Or, le secret du preneur de son naturaliste se résume dans ce maître-mot : du terrain, toujours du terrain ! Quand la curiosité n’engloutit pas à lire le travail d’un bio-acousticien, d’un ornitho-mélologue, à écouter la création d’un musicien expérimentateur, le travail d’un collègue, elle accapare de toute façon à arpenter le monde et capter toujours plus ou toujours mieux. Une vie n’y suffirait pas. À courir sans cesse après quelque chose d’autre – explorer de nouveaux sons, l’ultrason, le micro-son, le piège à son, ou que sais-je encore –, les heures d’enregistrement s’accumulent. Je crois parfois devoir assagir cette obsession.
Je ne suis donc pas de ceux qui thésaurisent. J’aspire plutôt à ce que ma sonothèque révèle des points d’ouïe différents sur le monde sonore du vivant, à mon modeste niveau d’arpenteur du paysage, à défaut de globe-trotteur. Prenez ma collection de chants et cris de charbonnières ; pourquoi s’entêter à en collectionner toujours ? Eh bien, je découvre encore que chaque nouvelle prise me réserve une nouvelle vocalise ! De même, après trente-trois ans à enregistrer des lieux de nature, j’admets combien la variabilité et l’évolution des paysages sonores est un sujet en soi, à l’ampleur infinie.
Quand les vicissitudes de l’existence me cloîtrent en intérieur, je recherche telle ou telle amélioration… J’éprouve une certaine satisfaction à « mettre au point » des dispositifs de prise de son.
Depuis une quinzaine d’années, je collecte des ambiances au moyen d’un système 3D de mon cru avec lequel je propose des diffusions sur huit enceintes.
Toutes ces perspectives me motivent à passer le témoin de la passion, c’est-à-dire, en un mot, assurer la « passation » du flambeau, au moyen de formations, de conférences, d’ateliers ou encore de balades-découvertes.
La technique cependant n’occulte pas chez moi l’approche naturaliste. Pour cette raison, je me proclame « audio-naturaliste », terme composé par mon ami Fernand qui revendique avant tout son amour de la vie. En nous, il y a des « chasseurs de sons », bien sûr, mais plus encore, des « cueilleurs – collecteurs » de poésie sonore.
Pascal Dhuicq
Mais oui, bien sûr.
Je parle de moi et j'oublie de renvoyer sur mon site web http://www.memotopic.com !
En cliquant sur deux des liens du départ, on accède à des centaines de séquences gratuites et quelques payantes :
https://www.memotopic.com/ecouter-les-sons-de-la-nature-1001-empreintes-sonores-animales-paysages-sonores
Bonnes écoutes !
Pascal

DERNIÈRE MINUTE !

Bonjour,
Le Centre Permanent d'Initiatives pour l'Environnement de Brenne & Berry, a intégré à son catalogue 2025 une nouvelle formation de trois jours que j'ai proposée sur les paysages sonores de la nature.
Je l'animerai du 14 au 17 avril 2025 en Brenne.
Voici tout le programme avec les bulletins d'inscription :
https://cpiebrenne.fr/former/stages-en-brenne/
Une image de...
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