L'INDICATEUR N°5
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LE SOLFÈGE DE LA MÉSANGE CHARBONNIÈRE
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L'audio-naturaliste invité : Douglas Quin
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La mésange charbonnière
Parus major
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On a coutume de dire que les mésanges sont faciles à identifier par leur chant : elles ne chantent que deux notes! Et ceci serait vrai pour quasiment toutes les espèces de mésanges. En revanche Olivier Messiaen affirmait que le chant de la Mésange charbonnière peut comporter plus de 20 variations… j’en doute ! Quant à moi, je suis persuadé que la mésange est capable de mieux !
En italien, le mot “Cincia” provient d’onomatopées imitant ce fameux chant sur deux notes. Il désigne une mésange, et la Mésange charbonnière se nomme “Cinciallegra” : la mésange joyeuse, en référence à son chant. En espagnol elle devient Herrerillo (le petit forgeron) en référence à ses cris d’alarmes métalliques. Enfin, une mésange qui chante “zinzinule” !
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Je reviens souvent sur les écrits de Paul Géroudet, datés pourtant des années 50, à qui nous devons une somme d’observations scrupuleusement notées et qui constituent un véritable fondement à l’éthologie des oiseaux. « Les chants du mâle (la femelle peut occasionnellement chanter mais plus doucement) se composent de sons brefs, aigus, de deux ou trois syllabes, répétées et scandées sur un rythme alerte. Infinies sont les variations ! Tantôt l’oiseau semble imiter le grincement d’une lime ou d’une scie à métaux, tantôt il sonne comme un petit marteau sur une enclume, ce qui lui a valu le nom populaire de serrurier. suivi-suivi-stivi! … tidi tidi tidi… titipu titipu… tivitivitivitivi… fiis-fiis-fiss, tuitsi- tuitsi… etc. Le même individu change de motifs d’un instant à l’autre. Il est rare qu’il émette un léger babil en sourdine (ce que fait plus volontiers la mésange noire). »
Notre Mésange charbonnière est la plus grande des mésanges (elle ne pèse en moyenne que 18 grammes !). Elle est généralement sédentaire et, dans nos régions, se fait entendre même au plus profond de l’hiver, alors que c’est début février qu’elle commence à rythmer les levers du jour. En juin, période hyper active de nourrissage les chants diminuent en intensité pour se raréfier encore au cœur de l’été puis reprendre à l’automne.
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Autant les écrits de P.Géroudet nous font entrer dans l’éthologie, autant ceux, ô combien plus anciens, de Buffon nous font rêver sur la biodiversité au cours des siècles passés ! Comment pouvait sonner un concert naturel, du temps de la Révolution, interprété par quarante ou cinquante douzaines de mésanges !
Cliquez les images ci dessous pour lire le texte agrandi
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Tentons de percer les mystères de ces chants
En guise d’introduction, voici une Mésange charbonnière enregistrée en fin de matinée il y a quelques années, dans un parc public, en Hollande. Il ne s’agit que d’un court extrait tiré d’une longue séquence de chant, mais dans cet extrait non travaillé en studio, sans aucun montage, nous vérifions qu’effectivement, si l’oiseau semble ne chanter que sur deux notes (2 notes mais souvent 2, 3 ou 4 sons), il alterne différentes manières de les chanter et de les rythmer. Le chant passe ainsi d’une variation à l’autre relativement souvent. Il est déjà difficile, dans cet exemple, de compter le nombre de variations, tant certaines d’entre-elles sont presque à peine repérables à “à l’oreille nue”.
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Non seulement elle alterne de nombreuses variations sur deux notes mais, par moments, le timbre généralement pur semble se métalliser un peu, ici précisément à la trente deuxième seconde… la curiosité m’invite à ralentir ce détail… jusqu’à trouver que le petit son métallique qui débutait la phrase n’est autre qu’un léger arpège, très détaché et très pur ! Encore une preuve que le rythme de vie des petits oiseaux nous interdit de percevoir toutes les subtilités de leurs chants.
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La mésange chante-t-elle bien deux notes ?
Et que savons-nous vraiment de ce qu’elle chante ?
Ces deux notes, les avons-nous bien écoutées ?
Que nous apprend l'écoute au ralenti ?
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Au printemps, dans le calme du confinement, je me suis mis à collectionner ces variations. Tous les matins, au lever du jour mais aussi en journée, d’avril à juin, mes micros était prêts à l’emploi, à la porte de la maison, en lisière forêt dans la vallée de Quint au pied du Vercors. Et de ce fait, tous les exemples présentés à partir de maintenant sont issus de cette longue série d'enregistrements dont je ne présenterai ici qu’une infime partie… Et de même, il est important de considérer qu'il s'agit toujours du même individu. Pour commencer notre petite étude, voici quelques sons extraits de longues séquences, nous présentant des fragments de “chants types” (ceux que l'on entend le plus fréquemment), ainsi que quelques alarmes qui ne sont pas sans évoquer les fameux sons grinçants qui lui valent ses nombreux surnoms.
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Pour nous aider à mieux comprendre la suite, voici un petit tableau pour éclaircir les effets du ralentissement des chants.
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Voici maintenant deux phrases tirées d'une prise de son très courte.
1-La première phrase est entendue à vitesse normale puis ralentie de moitié (donc à l’octave inférieure) :
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On remarque un arpège similaire à celui que nous avions rencontré dans le chant de notre mésange hollandaise. Voilà qui nous dit que nous avons affaire à une signature appartenant davantage à l’espèce qu’à un individu isolé.
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2-La deuxième phrase nous est proposé à vitesse normale puis transposé deux fois :
à l’octave inférieure, puis à deux octaves inférieures.
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Les ralentis nous permettent de réentendre l’arpège qui débute la phrase mais aussi cette note finale qui semble rajoutée à l’ensemble. Deux octaves en dessous, nous restons admiratifs de la netteté du chant et de son détaché, l’ensemble est maintenant quatre fois plus long ce qui se comprend aisément, mais nous avons aussi la nette impression d’un espace qui s’est agrandi dans des proportions étonnantes accompagné d’une réverbération importante. Nous reviendrons sur cette question dans un article consacré à la variation de vitesse de lecture des sons.
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Voici maintenant un chant apparemment très simple et qui précisément nous fait penser à ce son grinçant si souvent évoqué au sujet de la Mésange charbonnière.
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A vitesse normale l’oiseau semble ne chanter qu’une seule note répétée par groupes de deux, trois fois. Ralenti de deux octaves nous percevons nettement une autre note aigue qui termine la formule rythmique. De plus nous constatons que l’effet “grincement” est en réalité produit par un tremolo d’une prodigieuse vitesse. L'oiseau est perché au sommet d'un peuplier, en plein vent... dans ce ralentissement nous entendons davantage le bruit des feuilles qui s'entrechoquent...
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Continuons avec un chant sur trois notes entendu à deux vitesses.
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Cet exemple nous présente maintenant l’oiseau capable de formules mélodiques autant que rythmiques, modifiant le timbre à l'intérieur de la phrase par un trémolo.
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Voici maintenant un cri d’alarme alterné régulièrement avec des fragments chantés. (De ce fait, il est souvent bien difficile de distinguer une alarme d'un chant...)
Les ralentissements laissent apparaitre un caractère très “vocal” des cris d’alarme, et mettent en évidence un arpège en fin de phrase. Il est intéressant de noter que chaque fois que l’arpège débute une phrase il s’agit d’un arpège ascendant, et qu’ici, en fin de phrase, l’arpège est descendant ! (C’est un vrai procédé d’écriture musicale que de lire, et jouer, une phrase à l’endroit puis à l’envers ou de jouer avec le positionnement des motifs…).
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Et voici, pour finir en beauté, une petite série d’exemples extraits d’une courte séquence au cours de laquelle l’oiseau change de formule à chaque fois qu’il change de place dans l’arbre (rappelons que l’oiseau chante toujours perché et alarme soit perché soit en vol).
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Et nous pourrions multiplier les exemples à l’infini. L’oiseau le plus simple qui zinzinule en haut du tilleul nous étonne par la variété de ses chants, ses capacités d’invention, la richesse d’un vocabulaire dont nous ne soupçonnions pas l’existence, et que nous n'avons pas fini de découvrir...
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Permettons-nous enfin de signaler deux ouvrages de Jennifer Ackerman traitant autant de la culture animale (dont celle des mésanges) que de la Voie des oiseaux.
Les recherches de Jennifer Ackermann bouleversent les idées reçues:
Et bien sûr l’incontournable ouvrage entièrement consacré aux mésanges toutes espèces confondues (qui cependant n’accorde quasiment aucune place à la question des chants et des alarmes)
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Chaque numéro de L'INDICATEUR accorde en pied de page un espace à la présentation du travail d'un audio-naturaliste remarquable.
Aujourd'hui : Douglas Quin
Crédits photos: Dale Stokes et Stanislaw Strzyzewski
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De la banquise au coeur des forêts tropicales, des montagnes de Madagascar à la forêt calédonienne , Doug Quin mêle l'aventure à une quête de l'inouï, toujours prêt à donner une nouvelle dimension à ses talents d'artiste sonore et de compositeur. Son importante discographie se trouve ainsi naturellement dans les discothèques naturalistes et musicales.
Écoutez les CD:
ANTARCTICA, OROPENDOLA, FORESTS-A BOOK OF HOURS, CARATINGA
La plus grande partie de ses paysages sonores récents sont disponibles ici:
Un très bel enregistrement (Méliphage Noir et Grive Moine):
"Ces oiseaux ont été enregistrés dans le Parc provincial de la Rivière Bleue en Nouvelle-Calédonie alors que je faisais des travaux de terrain au sein de l'équipe de chercheurs du Plan d'Action pour la Sauvegarde du Cagou (PASC). Nous avons eu de la chance car le méliphage noir est très rare et en danger critique d'extinction." https://soundcloud.com/audionomad/friarbirds-and-crow-honeyeater
Enfin une visite s'impose sur le site de Doug Quin présentant l'actualité de son travail:
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