L'INDICATEUR N°8
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RECTO TONO : L'ENGOULEVENT et la LOCUSTELLE
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L'audio-naturaliste invitée : Eloisa MATHEU
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L'Engoulevent d'Europe et la Locustelle tachetée
Voici une toute petite étude musico-naturaliste portant sur deux oiseaux très différents, vivant en des lieux différents, et qui pourtant pratiquent pratiquent les mêmes techniques vocales, un chant recto tono très étiré sur la durée...
Recto tono ?
C'est une locution latine désignant une manière de lire, de réciter ou de chanter un texte à voix haute, sur la même note, en gardant la possibilité de varier le rythme et le débit (nous verrons que l'Engoulevent, parfois, change de note, quant aux paroles...)
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L'engoulevent d'Europe Caprimulgus europaeus
L'Engoulevent d'Europe est un oiseau mystérieux, méconnu et relativement menacé à la suite de la modification de son habitat, des changements de techniques de culture forestières, de l’usage des pesticides qui ont fortement réduit le nombre et la diversité des papillons qui constituent le principal de son alimentation.
En effet, c'est un chasseur d’insectes et surtout de papillons évoluant au crépuscule ou durant la nuit. Le jour, il se repose, couché à terre ou sur une branche. De plus, l’homotypie (une réelle capacité de l'oiseau à se fondre dans son environnement), font de lui un oiseau difficilement observable en même temps que très vulnérable, d’autant qu’il niche à même le sol.
De tout temps, l’Engoulevent a été victime de sa mauvaise réputation fondée sur des légendes tenaces, elles-mêmes infondées. Son nom latin caprimulgus, attribué par Linné, signifie “celui qui tête les chèvres”. En effet, l’oiseau était supposé entrer dans les fermes, de nuit, et se nourrir du lait des chèvres directement prélevé sur le pis des animaux. Pour cette raison, il était impitoyablement chassé.
Le nom français d’Engoulevent vient du verbe engouler qui signifie “qui avale le vent” ceci en référence à sa manière de chasser les papillons, en vol, le bec grand ouvert…
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Migrateur, il revient parmi nous en mai et se fait entendre très fréquemment dès la tombée du jour, à partir de la fin du mois. Son chant, est audible souvent de très loin et se répète durant des heures, du crépuscule à l'aube, avec quelques pauses.
En parade il fait souvent claquer ses ailes, en vol ou en fin de séquence, puis “tourne au ralenti”, pianissimo, avant de se relancer dans une nouvelle séquence.
Le mâle chanteur est souvent difficile à localiser dans la pénombre. Il est perché et bouge souvent tout en continuant à chanter. Engoulevent... un nom pour le plus étonnant !
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Voici ce qu'en dit Buffon dans son Histoire naturelle
« Lorsqu’il s’agit de nommer un animal, ou, ce qui revient presque au même, de lui choisir un nom parmi tous les noms qui lui ont été donnés, il faut, ce me semble, préférer celui qui présente une idée plus juste de la nature, des propriétés, des habitudes de cet animal, & surtout rejeter impitoyablement ceux qui tentent à accréditer de fausses idées & à perpétuer des erreurs. C’est en partant de ce principe que j’ai rejeté les noms de tette-chèvre, de crapaud volant, de grand merle, de corbeau de nuit & d’hirondelle à queue carrée, donnés par le peuple ou les Savants, à l’oiseau dont il s’agit ici. J’ai conservé à cet oiseau le nom d’engoulevent qu’on lui donne en plusieurs provinces, parce que ce nom, quoiqu’un peu vulgaire, peint assez bien l’oiseau lorsque les ailes déployées, l’œil hagard & le gosier ouvert de toute sa largeur, il vole avec un bourdonnement sourd à la rencontre des insectes, dont il fait sa proie & qu’il semble engouler pas aspiration. »
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Mais ce qui nous intéresse ici, au delà de la taxonomie, c’est bien entendu le caractère si particulier de son chant et à ce sujet, donnons encore une fois la parole à Paul Géroudet :
« Peu à peu, la lumière s’atténue aussi vers l’ouest, les feuillages semblent plus épais. Au sein de leur ombre s’élève soudain un bruit étrange et monotone, soutenu sur deux tons en alternance : errrrrr eurrrrrrrrr errrrrrrrrr eurrrrrr... L’Engoulevent commence sa soirée, trois quarts d’heure après le coucher du soleil. Le ronronnement de l’Engoulevent, assez grave, est émis en séries continues d’une à trois minutes, mais pouvant durer jusqu’à̀ 5 et même 9 minutes sans interruption. Il ne nous rappelle plus celui d’un rouet, mais plutôt le bruit lointain d’une moto ; le phrasé est monotone, entrecoupé toutefois de légères chutes de tonalité, et son intensité́ varie également. Le mâle l’émet rarement à terre ou en vol, presque toujours à̀ partir d’un poste de chant assez élevé́, telle une branche bien dégagée. A la fin de la période, le ronronnement s’achève en ralenti peu perceptible : errrr orrrr errrrrrrr konorkornorkonor. L’excitation donne à̀ cette finale une chute plus dure et saccadée (le dérapage de la moto). Tout différent, le cri en vol khouît ou khou-ît retentit comme un signal d’alarme, d’inquiétude. »
Paul Géroudet - Les Passereaux d’Europe
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Bien sûr Buffon ne peut pas comparer le chant de l’Engoulevent à celui d’une moto comme le veut un récente tradition, et c’est sans doute ce qui explique qu’il évoque “un bourdonnement semblable au bruit d’un rouet à filer”.
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Dans le premier extrait nous entendons l'Engoulevent, seul parmi les grillons du soir, enregistré en lisière de forêt, début juin, dans la Drôme au pied du Vercors. Son chant continu oscille entre deux hauteurs, entre une tierce ni majeure ni mineure... Dans le deuxième extrait, le même individu, accompagné d'un dernier Rouge-gorge chante un peu plus haut, il marque la fin de sa séquence par des claquements d'ailes caractéristiques, puis, si l'on prête bien l'oreille, continue son chant pianissimo, comme un moteur tournant au ralenti. Il est aussi capable de faire entendre ce type de claquements d'ailes en vol, comme s'il applaudissait!
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Rares sont les chants d’oiseaux se présentant ainsi, sous la forme d’un son continu, sans que l’on puisse distinguer des phrases constituées de motifs formant des “séquences chantées”. Ici, tout est confondu: les motifs, la phrase et la séquence, même si celle-ci se divise en moments très inégaux. On se pose toujours la question de cette technique vocale lui permettant d’obtenir des résultats sonores qui se rencontrent rarement chez les oiseaux mais plus fréquemment chez les insectes dont les stridulations, obtenues mécaniquement, se prolongent souvent longtemps et de manière ininterrompue (pensons à la courtilière par exemple). De même la question d’une respiration continue nous étonne toujours.
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La Locustelle tachetée Locustella naevia
Ainsi, un autre oiseau de nos contrées, la Locustelle tachetée nous propose un chant proche de celui de l’Engoulevent d’Europe. Son nom nous vient précisément du mot Locusta qui désigne, en latin, l’insecte qui stridule. Elle vit dans les zones humides et en vieux français on l'appelait oiseau-grillon ou encore grillon des rivières. Autrefois on l'appelait encore longue-haleine à cause de la durée de son chant qui peut facilement atteindre une heure sans aucune interruption! Comme la Locustelle chante plus aigu que l’Engoulevent, on ne s’étonnera pas de sa plus petite taille. Cependant, certains traits de comportement la rapprochent de l'Engoulevent: elle vit et niche près du sol en végétation basse, elle se nourrit principalement d'insectes volants dont les papillons, ses couleurs la rendent difficile à observer, elle chante volontiers au crépuscule...mais pas uniquement puisque celle-ci a été enregistrée près d’un étang dans cette belle réserve de vie qu’est la Dombes à proximité de Lyon.
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Dans son Traité des Objets Musicaux, Pierre Schaeffer définit le type de son produit par nos deux oiseaux comme faisant partie de la famille des “sons itératifs” : des sons continus résultant de la répétition très serrée de tout petits motifs. Et en effet, l’écoute au ralenti d’une seule seconde de ces chants nous permet d’apprécier et de compter le nombre de ces répétitions. Ainsi, l’Engoulevent répète exactement 65 fois son motif alors que la Locustelle répète 50 fois un motif double (ce qui revient à dire 100 petits sons parfaitement alternés et d’un détaché remarquable !)Dans ces deux exemples, la seconde d’enregistrement est abaissée de trois octaves ce qui amène la durée résultante à 16 secondes. Enfin, notons que l'Engoulevent alterne deux hauteurs séparées d'une tierce, et qu'il il est intéressant de noter que la note la plus haute fait entendre une itération plus lente ce qui semble “contre nature”...
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Olivier Messiaen disait : « Il nous faut écouter les oiseaux, ce sont nos maîtres : ils ont tout inventé en musique ». Et effectivement, toutes nos manières de combiner les sons pour nous faire entendre et nous faire comprendre de l'autre : l’art de se répéter indéfiniment, de faire des variations autour d’une seule idée, de varier les idées à l’infini, de les alterner, de jouer sur des motifs longs ou courts à des hauteurs diverses, d’inventer mille profils mélodiques, de travailler les timbres et les nuances d’intensité, de combiner le vocal et l’instrumental… toutes ces “stratégies sonores” ne sont-elles pas, pour le musicien, comme pour l’oiseau, un appel à l’écoute de l’autre… une manière particulière de se situer dans le paysage sonore… affirmer une identité… une existence ?
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Pour aller plus loin et approfondir la question de noms d'oiseaux:
La mystérieuse histoire des noms d’oiseaux :
Henriette Walter aux éditions Bernard Laffont :
L’étymologie des noms d’oiseaux :
Pierre Cabard et Bernard Chauvet aux éditions Belin :
Un peu plus difficile à trouver mais précieux en certaines circonstances :
Dictionnaire des noms d'oiseaux en 5 langues: le Lexique des Oiseaux
R.L. Boehme et V.E. Flint, Édité en France chez MASSON
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Chaque numéro de L'INDICATEUR accorde en pied de page un espace à la présentation du travail d'un audio-naturaliste remarquable.
Aujourd'hui : Eloisa MATHEU
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J'ai deux sites web :
www.eloisamatheu.com de création récente dans lequel je compte présenter mon travail de preneur de son indépendant. Des activités récentes y apparaissent (collaboration à la radio, ateliers d'identification, enregistrements sonores de divers projets, etc.) Je prévois également de télécharger des sons de voyages: https://www.eloisamatheu.com/ca/projectes/sabah-borneo, de régions d'Espagne où j'ai enregistré de manière plus intensive (prévues Pyrénées, garrigue méditerranéenne et Dehesas) ou de groupes d'espèces que je souhaite mettre en valeur : https://www.eloisamatheu.com/ca/projectes/mussol-pirinenc
Mais je vais plus lentement que ce que j'avais prévu !
J'ai également un site plus ancien: www.sonidosdelanaturaleza.com, où les publications apparaissent sur CD ou, plus récemment, les mêmes titres prêts à être téléchargés (ils ne sont pas encore tous téléchargés).
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En ce moment, je travaille dans le cadre d'une collaboration avec le Musée des sciences naturelles de Barcelone, https://museuciencies.cat/ dans laquelle je suis responsable de la numérisation de sa sonothèque historique, créée en 1983 et fermée par la suite, tandis que j'élargis sa collection avec des enregistrements de ma part et bientôt aussi d'autres auteurs (je l'espère). La bibliothèque sonore ou Fonoteca devrait à l'avenir être téléchargée sur Internet et ses archives sonores pourront être consultées. Mais pour l'instant, il s'agit encore d'un projet.
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Parallèlement, je continue le travail d’enregistrement free lance, bien qu'avec moins d'intensité, et ces dernières années, je me suis intéressée à l'enregistrement avec des enregistreurs automatiques sans surveillance (Wildlife acoustics:
pour le suivi ou échantillonage acoustique, tant de certaines espèces d'oiseaux que d'insectes, surtout dans les Pyrénées.
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Et un troisième axe de travail est la diffusion des chants d'oiseaux et leur identification auditive. Je donne des ateliers d'une matinée ou d'un week-end avec un plus grand dévouement dans les sorties d'écoute, un travail ultérieur en classe en utilisant les sonogrammes et même une introduction à l'enregistrement. Grâce à covid, j'ai commencé à enseigner ces ateliers en ligne. Vous pouvez voir quelques exemples dans mon site:
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