L'INDICATEUR N°6
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PIC FLAMBOYANT, PIC MACULÉ, ET PIC NOIR
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L'audio-naturaliste invité : Thibaut QUINCHON
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Le Pic flamboyant Colaptes auratus
Le Pic Maculé Sphyrapicus varius
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Lors de mon premier séjour au Canada, je n’avais qu’une obsession : enregistrer un maximum d’oiseaux chanteurs pour mener à bien un double projet. Dans un premier temps, il s’agissait de trouver la matière sonore pour la réalisation de mes “Compositions Ornithologiques” et répondre ainsi à la demande qui m’était faite par la Faculté de Musique de l’Université de Montréal, puis, dans un deuxième temps, tenu secret, de tirer profit de mon séjour pour collecter, en plus du reste, tous les sons qui me permettraient de réaliser un grand rêve, proposer un CD aux éditions Sittelle.
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Mon véritable premier contact, microphone en main, avec la forêt canadienne se fit de nuit, avant le lever du jour. Le Mont Saint-Hilaire avait été repéré la veille, en cours d’après-midi. Un Bruant chanteur devait se poster à un endroit précis qu’il m’était facile de retrouver même dans le noir. Mais à cette heure, le bruant n’était pas à sa place, ou plus exactement, il n’était pas encore à sa place. Devant moi, un espace dégagé et buissonneux surplombait la forêt, avec le lac en contrebas, dans le creux de la montagne, comme au fond d’un cratère. Un cratère ou plutôt une grande caisse de résonance que faisait sonner un régiment de pics,Flamboyants et Maculés, tambourinant les troncs avec une énergie peu commune.
Qui n’a pas exercé cette écoute aveugle, dans le noir, ne sait pas ce qu’est un véritable paysage musical, large, avec ses profondeurs, ses lointains, mais aussi la précision des points sonores les plus proches, parfaitement localisables, que l’on désignerait facilement du doigt avec justesse.
La symphonie des pics se jouait tout autour de moi, ininterrompue et puissante. La forêt résonnait comme autant de lames de bois issues d’un gigantesque marimba. Les fûts sonnaient avec une grande netteté, tous différents. De temps en temps, l’un des pics changeait de tronc, poussant en vol un long rire aigu et répétitif, puis apparaissait à l’oreille une nouvelle sonorité due au choix d’un nouvel arbre.
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Comment un oiseau, de quelques centaines de grammes tout au plus, peut-il ébranler la masse pesante d’un tronc d’arbre jusqu’à la faire sonner comme un simple et vulgaire tambour, comme une longue cloche de bois ? Avec quelle énergie, sur quel mode de frappe? Et ce pendant des heures !
J’écoutais, dans le noir, fasciné et un peu inquiet pour mon Bruant chanteur, sans même penser, dans un premier temps, à enregistrer ce paysage, cette immensité sonore. Enfin, l’esprit pratique revenu, avec l’opportunisme du preneur de sons, je braquais mes micros qui jamais ne sauraient restituer l’impression du moment. L’instant d’après, mon Bruant chanteur, comme le soliste d’une vaste partition, comme une goutte de lumière dans la nuit finissante, venait se placer sur le buisson repéré la veille, et entamait son solo pour plusieurs heures, indifférent à ma présence à tel point que je terminais la prise de sons à 50 centimètres de lui.
Le reste de mon séjour se partagea entre les oiseaux chanteurs et la traque des tambourinages.
Comme le naturaliste examine son butin à la loupe pour en découvrir les trésors cachés, mon premier réflexe consiste souvent à ralentir les chants d’oiseaux. Se révèlent alors, presque à chaque fois, des joyaux mélodiques, propositions musicales époustouflantes. Presque par habitude, je fis de même pour les pics. J’étais persuadé que je ne trouverais rien de bien particulier, mais que le ralentissement flatterait les impressions d’espace, les résonances de la forêt, et que cela me permettrait plus facilement d’identifier les oiseaux par l’analyse de la structure rythmique de ces tambourinages qui varient avec chaque espèce de pic.
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Pour nous aider à mieux comprendre la suite, voici un petit tableau pour éclaircir les effets du ralentissement des chants.
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Ralenti de deux octaves, c’est-à-dire étiré à une vitesse quatre fois inférieure, on remarque aisément que chaque coup donné sur le tronc semble doublé. Comme si, avec un léger décalage, on superposait le son avec lui-même. Cela s’entend très clairement. Dans un premier temps, j’attribuais ce phénomène à un écho, ce qui, à bien réfléchir, était stupide, le deuxième son étant aussi fort que le premier et tout aussi proche. Je me demandais s’il ne s’agissait pas du rebond du bec de l’oiseau sur la matière dure du tronc, mais cela me paraissait mécaniquement tout à fait invraisemblable. J’imaginais un problème technique sur mes appareils lors des prises de sons, mais j’en avais utilisé deux différents et la double frappe était toujours présente sur mes ralentis, pour tous les pics, des différentes forêts que j’avais visitées pendant mon séjour. Ici, dans le ralenti, nous entendons un autre pic répondre, au loin, de la même manière.
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Quelques années plus tard, un repérage pour une série de concerts me fournissait l’occasion de passer quelques jours de printemps à Montréal. J’attendais le bus, en direction du Biodôme quand je vis, juste au-dessus de moi, un Pic flamboyant, perché sur l’abribus. Se présentait enfin l’occasion d’observer un individu de près. Lors de mes prises de sons, souvent nocturnes ou tardives en soirée ou bien avant le lever du soleil, dans une forêt relativement opaque, l’observation n’est pas aussi aisée. De près, je considérais les couleurs de l’oiseau, la nervosité de ses gestes, la manière dont ses griffes se resserrent autour du piquet de métal. J’admirais sa poitrine tachetée, la marque rouge sur sa nuque, le collier sombre à la base du cou.
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Seul, dans l’abribus, je ne bougeais pas.
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Indifférent à ma présence, le pic se mit alors à tambouriner le panneau métallique annonçant les horaires avec le même acharnement qu’en forêt lorsqu’il s’agit pour lui de se faire entendre ou d’entamer l’écorce des arbres pour y déloger des insectes. Le son sec du bec sur cette surface de métal était inhabituel : le timbre familier du bois disparaissait alors que la structure rythmique du tambourinage demeurait comme une signature de l’espèce. Mais surtout, je constatais avec surprise qu’il tambourinait le bec légèrement ouvert !
D’un seul coup, je comprenais la raison du coup double dans mes tambourinages ralentis. L’oiseau frappe effectivement deux fois mais les coups de chaque mandibule, suffisamment rapprochés, se confondent à vitesse normale.
(Poursuivant les recherches, je constatais cette même particularité chez le Pic maculé, lui aussi nord-américain, alors que je n’ai pas encore rencontré ce chose similaire en Europe… La recherche reste ouverte !)
Les pics, vrais musiciens, vrais percussionnistes à la recherche d’une “efficacité sonore” possèdent la même science que les percussionnistes humains. Non seulement ils savent exactement où frapper la peau de leur caisse claire, mais ils le font des deux baguettes, légèrement décalées, pour obtenir ce son particulier qu’ils appellent “fla”. Et les percussionnistes font souvent de longues études pour atteindre le niveau de perfection du Pic flamboyant.
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Le Pic Noir Dryocopus martius
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Le plus grand des pics se reconnait facilement du fait de sa couleur noire, son bec ivoire et sa petite coiffe rouge vif.
Olivier Messiaen, ne peut qu’être attentif à l’oiseau qui tient la place de percussionniste dans le grand orchestre animal : « Nous avons tous remarqué que les baguettes et les poignets du timbalier devenaient flous, presque indiscernables, au cours d’un roulement rapide et fortissimo : c’est ce qui se passe pour le pic, sauf que la baguette c’est son bec, et le poignet c’est son cou et sa tête ! »
Nous reviendrons sans doute plus tard sur les tambourinages caractéristiques de chaque espèce de pic qui sonnent comme une véritable signature sonore. Ici, arrêtons-nous sur les cris et chants caractéristiques du Pic noir qui sont, comme le disait Paul Géroudet : « Une expression des forces primitives de la forêt sauvage ».
Voici un enregistrement réalisé en forêt, à la tombée du jour. Cette séquence, qui ne comporte aucun montage, est principalement chantée en vol. En fin de séquence, le pic tambourine un énorme tronc.
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Voici un enregistrement réalisé en forêt, à la tombée du jour. Cette séquence, qui ne comporte aucun montage, est principalement chantée en vol. En fin de séquence, le pic tambourine un énorme tronc. Nous l'écoutons tel quel puis ralenti deux fois.
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L’écoute au ralenti fait apparaitre un chant particulièrement adapté à l’acoustiques de la forêt. C'est vraiment “le son du cor au fond des bois” tel qu’en parle de Vigny. Nul doute que les chants et manifestations sonores des oiseaux sont particulièrement adaptées à leurs espaces de vie !
Nous sommes très admiratifs de la netteté des attaques, de la précision et du détaché des formules rapides et répétitives, et surtout de la finesse et de la maitrise des “sons filés” (du pianissimo au fortissimo) qui sont des modèles de morphologie rares autant dans la nature que parmi les modèles instrumentaux (à l’exceptions des instruments à vent).
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Chacun sait que les pics adorent prendre un bain de fourmis… qui constituent aussi une grande part de leur alimentation.
Ici nous sommes en Mongolie. Deux Pic noirs, dans la matinée, sont enregistrés en lisière d’une forêt qui laisse brutalement place à la steppe envahie d’insectes, très sonore début juillet. Les Pics s’approchent de moi, grattent le sol, ouvrent une fourmilière, se gavent de fourmis avant de se coucher, ailes ouvertes, pour se laisser nettoyer par d’innombrables ouvrières… je m’approche lentement.
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Retrouvez le Pic flamboyant et le Pic noir en cliquant les CD suivants:
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Chaque numéro de L'INDICATEUR accorde en pied de page un espace à la présentation du travail d'un audio-naturaliste remarquable.
Aujourd'hui : Thibaut QUINCHON
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Se faire membrane pour vibrer au rythme des territoires audibles.
Coller des voix humaines à celles d’autres êtres vivants. Proposer des œuvres dans les nuages : des 0, des 1. Utiliser les mots du dehors pour accompagner sa pensée à la porte.
Je tente tant bien que mal de vivre avec mon temps, de pratiquer un funambulisme qui s’équilibre dans le compromis.
Comme d’autres le disent bien mieux que moi, il n’y a pas d’objectivité profonde dans la séparation entre deux pans importants de nos manières d’habiter le monde : Par-delà nature et culture. (Philippe Descola).
La symbiose et l’antibiose.
La résilience, paraît-il, préfère cette première. C’est en tout cas l’avis de Michel Leboeuf, écologiste et écrivain québécois, dans son dernier livre Le Dernier Caribou. Prenons garde : nous avons des idées à faire valoir qui sont aussi justes qu’erronées.
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C’est dans cette veine que je dissocie le corps et l’âme, l’homme et l’urbanisme, la croyance et la morale. Dans cet esprit que je vous présente Dissociation. Des œuvres qui sont le fruit de ma réflexion, mais pas seulement… De l’écoute qui fait état de la diversité du paysage québécois et bien plus encore... je l’espère... Cette série d'œuvres comprend déjà trois documentaires permettant de réaliser un voyage dissociatif en terre québécoise et de questionner les paradigmes de nos civilisations... d’une perspective sonore. Si tout se déroule comme prévu, d’autres œuvres devraient voir le jour au fil des années pour faire état de la diversité de ce territoire dans lequel je réside maintenant depuis sept ans. https://www.dissociation.ca/ecouter
Autrement, je prépare cette année une œuvre intermédiaire pour la scène qui fera l’éloge du monde sonore qui nous entoure et qui se résume à cela : Écouter, pour dialoguer, pour vivre ensemble.
En espérant pouvoir la présenter en France un jour...
Pour terminer, je tiens à remercier tous les audio-naturalistes de m’avoir transmis cette passion de la découverte faunique par l'enregistrement.
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