L’étonnant printemps confiné que nous venons de vivre m’invite à quelques réflexions au sujet de propos entendu par-ci par-là, et à tenter de corriger certaines fausses idées émises au sujet du paysage sonore, de la perception que nous en avons eue et surtout du comportement des oiseaux chanteurs dans ce contexte particulier.

Combien de fois avons-nous entendu : « Depuis que les moteurs se sont tus, les oiseaux reconquièrent le paysage sonore. Dégagés du brouhaha des villes, plus nombreux qu’à l’habitude, ils chantent plus fort ». Non seulement il n’en est rien, mais tout me pousse à penser que, profitant de ce nouvel équilibre sonore, ils ont pu enfin baisser le ton, et être entendus malgré tout !

Alors que s’est-il passé dans la réalité ? Notre écoute seule est-elle réellement objective ?

Bien entendu ils n’étaient pas plus nombreux qu’avant ! Comment auraient-ils fait pour se multiplier aussi vite ? Peut-on imaginer que leurs cousins ruraux seraient venus à la rescousse pour de grands concerts citadins ? L’impression de nombre est sans doute due au fait qu’à ce moment-là ils étaient “seuls sur la scène”. De plus, tout cela se passe au printemps… qu’aurions nous dit si nous avions été confinés en fin d’automne, ou encore au mois d’août, le grand silence des oiseaux ?

En temps ordinaires, les oiseaux “additionnent leurs voix” au charivari général. Leurs manifestations vocales ont de la peine à émerger du vacarme constant, régulier et de haut niveau. Pour notre écoute, deux questions se posent alors : l’adaptations de notre oreille au volume général et le rapport signal sur bruit.

En effet, afin de protéger notre fragile oreille interne et lui permettre de travailler à niveau constant de manière à ne pas l’exposer à la fatigue, nous disposons, dans l’oreille moyenne, d’un petit dispositif de réglage du volume sonore qu’il serait trop long de décrire ici. En gros, ce petit “potentiomètre” abaisse le son lorsqu’il est trop fort et augmente le niveau sonore lorsque celui-ci est trop faible. Ainsi, alors que notre oreille ne cesse de s’adapter au volume global, les oiseaux, noyés dans la masse sonore semblent chanter moins fort quand le niveau de bruit est élevé.

Mais un deuxième paramètre doit être pris en compte : le rapport signal-sur-bruit.

Admettons que ce qui nous intéresse est prioritairement le chant des oiseaux. Le chant est alors pour nous la figure et le vacarme de la ville prend la place du fond. En musique, nous parlons de “figure sur fond”, en physique nous préférons parler de signal (ce qui nous intéresse) et de bruit (ce qui est indésirable). Pour apprécier les chants d’oiseaux dans toutes leurs subtilités il semble préférable baisser le bruit ! En ville, nous ne pouvons pas le contrôler, mais si par magie le confinement ordonne un silence quasi-total, alors, soudainement, les chants nous apparaissent dans toute leur splendeur et nous prenons conscience d’une présence que nous ne remarquions presque plus.

Mais rien n’est aussi simple que cela, car précisément, les oiseaux, comme tous les êtres vivants aptes à communiquer par le truchement du son, semblent bien maîtriser eux aussi la question du rapport signal sur bruit.  En effet, nous savons depuis longtemps qu’en milieux urbains très sonores les oiseaux s’adaptent et “montent le ton” afin d’être entendus ! Ces choses-là ont été prouvées plusieurs fois par diverses études. Ce comportement est tout à fait naturel et nous faisons de même. Je parle à côté d’une machine bruyante… soudainement elle s’arrête, je constate alors que j’étais en train de crier ! Heureusement, en temps ordinaires, les oiseaux font de même et, de même, profitent certainement du silence du confinement pour se reposer la voix tout en étant entendus plus clairement.

En revanche, dans les milieux très sonores, les oiseaux ne font pas que monter le ton, ils tentent aussi de se placer différemment dans le spectre sonore général. Une récente étude, portant sur les Mésanges charbonnières prouve qu’en milieu urbain, les chants se placent un ton au-dessus des mésanges rurales ! Plus aigu, le chant se distinguera plus facilement du vacarme général.

Enfin, les oiseaux sont musiciens ! Pourquoi se cacheraient-ils pour chanter ? En ville, comme à la campagne, ils choisissent les meilleurs postes de chant, ceux qui permettrons au son de porter le plus loin possible, ceux dont l’acoustique servira l’efficacité sonore… et la ville, en cela, fournit de belles surfaces réfléchissantes.

Mais en fin de compte, pour qui chantent-ils ? Pour un public confiné au fond des appartements et sur les terrasses d’immeubles, ou pour une population hyper active qui ne les écoute pas ? Ils chantent, nous le savons, principalement pour se signaler à leurs congénères. Les chants, globalement, marquent des territoires et constituent de véritables outils de séduction en période de reproduction. Meilleur est le chant, plus grandes sont les chances de réussite. Certaines espèces commensales (celles qui trouvent un avantage à vivre à proximité des hommes, sans pour autant les parasiter) sont souvent plus denses en ville qu’à la campagne. C’est le cas des Mésanges et des Merles par exemple… et aussi des moineaux.  Un grand nombre d’individus d’une même espèce favorise l’intrication des territoires et une émulation plus grande (nous pourrions peut-être dire concurrence). Cette émulation pousse à plus de virtuosité et de démonstrations de puissance vocale…

Ici aussi je m’arrête un instant sur une idée reçue : les oiseaux des villes chanteraient moins bien que les ruraux. Certes, nous n’avons pas de critères bien définis pour estimer la qualité musicale des chants… ils nous faudrait des oreilles et une culture d’oiseaux, mais nous pouvons les comparer en termes de puissance sonore, virtuosité, durée des séquence, richesses des timbres, variations et inventivité par rapport aux “chants types”. Dans de nombreux cas, les oiseaux des villes étonnent, ce que nous pouvons comprendre facilement !

Enfin, de très nombreuses études montrent que certains oiseaux citadins intègrent à leurs chants ou alarmes des entropophonies (c’est le cas des étourneaux par exemple) et peuvent se les transmettre de générations en générations ce qui contribue à la création de dialectes et manifeste de véritables cultures locales. Si les étourneaux des campagnes intègrent à leurs chants des cris de Hulottes, de Buses voire de Loriots, ceux des villes imitent parfaitement les sonneries de téléphones portables, les signaux sonores des distributeurs de billets ou encore les crissements de certaines machines…

Alors…pour en finir… le confinement les laisse-t-ils indifférents ? Sans doute non, mais pour d’autres raisons.

Un confinement nettement plus long nous aurait sans doute permis de vérifier une certaine incidence sur la densité des populations, les espaces laissés libres permettant à certains de nicher là où c’était jusque-là impossible (cours de récréation, espaces industriels désertés). En mars dernier nous entrions juste dans les temps de nidification et sans-doute, en divers endroits, la faune aviaire a tenté de conquérir de nouveaux espaces… qui leur  ont vite été confisqués.

Il nous reste maintenant à observer, et écouter, les effets du confinement d’automne…