Au pays des Sept Sœurs, Saath bhai (des Sept Frères en bengali) ou plus exactement au pays de Turdoides striata, dit encore Cratérope de brousse en français, Jungle babbler en anglais, ou encore et surtout de son cousin proche Turdoides affinis dit encore Cratérope affin en français ou Yellow-billed Babbler en anglais, tous deux de la famille des Léiothrichidés…

Il n’y a pas que des communautés d’utopistes dans la forêt d’Auroville dans le sud de l’Inde, non loin de Pondichéry. Il y a aussi les nombreuses communautés, peu monastiques, des Sept Sœurs. Comprenons-nous bien, les Sept Sœurs sont des groupes d’oiseaux très fréquents dans la forêt d’Auroville, tout autant que dans toutes les forêts et campagnes de l’Inde du sud. Ces oiseaux, relativement opportunistes se rencontrent aussi dans les parcs, les jardins, les paysages agricoles et même en ville. Et ils sont endémiques au sous-continent indien, du Nord au Sud…

Autant dire que ces oiseaux sont si communs qu’ils n’intéressent pas plus les autochtones que les moineaux domestiques ne nous intéressent en Europe. Et pourtant, à peine immergé dans la jungle, ce sont les Sept Sœurs qui m’attirent le plus, tant pour la richesse de leurs sons que pour leurs comportements…

Mais, je le disais plus haut, la forêt d’Auroville abrite une autre communauté, celle des utopistes à qui nous devons la formidable renaissance d’une forêt naturelle, équilibrée, vivante et riche, là où il y a 50 ans n’existait qu’un désert de sable rouge hostile et caniculaire.

Depuis toujours une jungle immense recouvrait l’Inde du Sud, abritant un nombre infini d’espèces d’oiseaux, d’insectes, de reptiles et de mammifères. Mais avec l’arrivée des Européens commença une grande campagne d’abattage, de destruction de la forêt, pour couvrir les importants besoins en bois des colons fraîchement installés. La terre, enrichie naturellement d’humus forestier depuis des millénaires fut lessivée par la mousson et, en un temps record, un désert prit la place. Un désert qui n’offrait plus le gîte et le couvert à de nombreuses espèces, végétales ou animales. En clair, un biotope bouleversé, déséquilibré, pauvre et quasi stérile.

Rien ne laissait supposer qu’un retour à l’équilibre primordial serait possible. Le sable rouge, desséché par le soleil et léger comme du talc aurait pu interdire toute renaissance, mais nos quelques idéalistes, à l’orée des années 70, décidèrent, ici, de changer le cours des choses. Muts par l’utopie des années hippies, et l’idéal de la pensée de Sri Aurobindo, ils se lancèrent à corps perdu dans le “projet aurovillien” qui me laisse pour le moins songeur…

Mais pour donner corps à ce projet, il fallait planter un décor propice, et tout commença par la restauration d’une forêt qui abriterait la cité idéale bâtie en son centre. Et force est de constater la réussite de cette entreprise de restauration naturaliste. Voir comment, en moins de cinquante ans, la nature a repris ses droits force l’admiration, à la fois pour les déclencheurs du phénomène, dont le principal outil était l’irrigation, tout autant que pour la nature elle-même qui, en toutes circonstances, est capable de ressources insoupçonnées et surtout de “cohérence”. Inviter le naturel à revenir au galop ? Encore fallait-il créer les conditions favorables, déclencher le processus et l’accompagner jusqu’au point où il s’alimente de lui-même, s’équilibre, reprend le pouvoir, décide par lui-même, retrouve une parfaite autonomie…

La nature autosuffisante.

Ainsi depuis quelques années, la forêt d’Auroville a reconstitué son humus. Elle abrite désormais un nombre infini d’espèces végétales et animales revenues reconquérir naturellement ces espaces autrefois désertiques.

Et c’est là que je m’attarde à observer et surtout écouter une petite communauté de Cratéropes d’affin, familièrement désignés Sept Sœurs ou Seven Sisters. En effet, ces oiseaux se déplacent en bandes. Souvent sept individus… rarement plus, apparemment toujours impairs !

J’ai souvent observé que les oiseaux au comportement grégaire, y compris les passereaux qui s’illustrent par leur aptitude au chant, ont des manifestations vocales d’une grande pauvreté, souvent réduites à des alarmes ou petits cris destinés à maintenir la cohésion des groupes. C’est, chez nous par exemple, le cas des Mésanges à longue queue, ou encore de nos Moineaux domestiques. Ici, en Inde, c’est différent.
La petite communauté va et vient, certains individus au sol, d’autres perchés dans les buissons, pas très haut.
Si je ne bouge pas, si je ne trouble pas l’équilibre, le groupe, par petits à-coups, traverse le paysage, lentement, dans un bavardage incessant.
L’oiseau n’est pas très beau à voir, entre couleurs grises et fauve, bec orangé les yeux jaunes ou clairs suivant les âges, les pupilles noires…

Un individu seul en exploration

Forêt d'Auroville

Il y a de l’humour dans cette scène, qui se déroule au bord d’un chemin qui traverse la forêt. Il y a de l’énergie comme toujours chez les oiseaux, de l’insouciance et de la bonne humeur. De temps en temps, un jogger occidental traverse l’espace dans une indifférence totale… les oiseaux vivent leur vie. Un vélo, une moto ou un rickshaw couvrent de bruit notre communauté, puis disparaissent lentement jusqu’à se fondre dans l’épaisseur végétale. Le seul bruit de fond qui habite cette jungle est celui de l’océan, déjà lointain, mais présent par le son grave, indéfini et continu, ainsi que celui du vent qui fait craquer les branchages et les bambous géants. Enfin les temples hindouistes déversent chaque matin, dès avant le lever du jour et jusque tard dans la matinée, leur dose de décibels, imposant eux aussi la marque et la surface de leur territoire.

On sait depuis peu que l’esprit communautaire pousse ces oiseaux à tout partager, y compris le nourrissage et l’éducation des petits. Mais tout cela n’entache pas la bonne humeur de la communauté des Sept Sœurs dont la prière quotidienne consiste à vivre simplement, aujourd’hui comme hier et demain.

Un individu de la petite communauté, perché et visible, chante plus puissamment que les autres, avec virtuosité, bonne humeur et une inventivité toujours renouvelée. S’agit-il d’un mâle ? Peu de dimorphisme sexuel me permet de l’affirmer, mais la tradition ornithologique le voudrait. Il semble tenir un rôle particulier… observateurs ? gardien ? guide ? chef d’équipe ? responsable ? ou tout simplement barde, musicien, animateur radio, commentateur de la situation…

Définit-il, par son chant, le territoire de chasse de la communauté ?

Comme protégé par un écran acoustique, chacun des membres de la communauté, copieusement arrosée de musique, s’affaire au sol et dans les buissons, à la recherche de la pitance, poussant quelques petits cris ou motifs mélodiques plus discrets, à la manière de personnes qui bavardent ou plaisantent, tout en se livrant aux activités les plus domestiques.

Ces petites communautés me fascinent, et tout au long de mon séjour dans cette région. Tous les matins, je consacre un long moment à les observer, les enregistrer, tenter de les comprendre… à la grande surprise des Aurovilliens. À mon retour, je découvre qu’il existe un article très approfondi sur la vie communautaire des oiseaux, leurs partages de taches y compris éducatives, accordant une grande place aux Cratéropes, dans le livre de Jennifer Ackermann:

Un sejours à Auroville, pendant la période de Noël, a été pour moi l’occasion d’enregistrer un disque complet pour les éditions Frémeaux et Associés, dans lequel, bien entendu, se retrouvent les Cratérope d’affin et Cratéropes de brousse.
Et c’était aussi l’occasion d’enregistrer le Coucou shikra surnommé Brain Fever qui m’a offert une matière sonore importante pour la composition éponyme Brain Fever, commande GRM-INA, elle aussi édité aux éditions MEGO