Avec les beaux jours d’octobre, les troupeaux sont redescendus du haut-plateau d’Ambel pour faire chanter et enchanter encore quelques temps le paysage sonore autour de nos maisons. La vallée résonne de rares coups de fusils, roulant longtemps sous les montagnes comme un tonnerre lointain. Les jeunes oiseaux apprennent de leurs parents les chants de leur espèce, juste avant que les familles explosent ou migrent vers d’autres latitudes
Un haïku bien connu me revient à l’esprit :
Une châtaigne tombe
Parmi les herbes
Les insectes font silence
Ici, ce sont les noyers qui lâchent leurs fruits et donnent à l’automne sa saveur particulière. Les sauterelles encore nombreuses, sans doute fatiguées par ce trop long été, se jettent lourdement sur nous comme des kamikazes jouant leur dernière carte, n’ayant plus rien à perdre, dépensant dans ce dernier saut ce qu’il leur reste comme énergie de vie… En fond de tableau, le tintement ininterrompu des cloches ou des clarines recouvre l’ensemble du paysage d’un frêle tissu sonore égal à la clarté de la lumière d’octobre : pure, fragile et légère. Les vaches et les moutons parcourent lentement cette symphonie jouée pianissimo dans un calme envahissant.
La légèreté du son des clarines n’est cependant qu’une illusion sonore… elle est due à la grande profondeur de champ de l’image acoustique. C’est la lumière audible du fond de ce tableau. Entendu de près, le son est plus puissant mais surtout beaucoup plus dynamique ! Et enfin, de très près, les attaques percussives de chaque instrument deviennent violentes et nous poussent à prendre à nouveau un certain recul.
Le paysage sonore tel que nous le percevons est-il semblable à celui qu’entendent ceux qui le composent ? Je n’ose pas me mettre à la place des brebis ou des vaches qui, tout au long des jours et des nuits, sans jamais la moindre interruption, vivent une cloche pendue à leur cou et doivent supporter ce vacarme métallique. Nous sommes à peu près certains que ces pauvres animaux sont frappés de surdité précoce, du fait de cette contrainte sonore qui progressivement leur a détruit l’ouïe.
Je pense à Quasimodo, dans le roman de Victor Hugo, devenu sourd à force de sonner les cloches de Notre Dame de Paris.
Je sais aussi qu’il n’est pas rare de constater une baisse des capacités de l’oreille gauche des violonistes, précisément attribuée à la proximité de l’instrument plus importante à gauche qu’à droite durant une pratique quotidienne, souvent plusieurs heures par jour… Cette question est récurrente chez bon nombre de musiciens… Il est bon de pratiquer son instrument de manière intensive, surtout au cours des longues périodes d’apprentissage, ou en préparation des concerts… mais pour les vaches et les brebis c’est 24 heures sur 24 ! Et le bétail n’a pas choisi son instrument.
Je me souviens avoir lu, je ne sais plus où, qu’autrefois les esclaves, eux aussi, étaient affublés d’un grelot permettant de les surveiller à distance.
Automne
Cependant, qu’il est doux d’entendre au loin paître nos troupeaux dans nos calmes campagnes d’automne !