Mardi matin

Rendez-vous est donné à tout le monde au théâtre pour un premier filage à 9h du matin.

A 15h aura lieu la première devant un jeune public, et ce soir à 20h le “grand spectacle” devant le tout public. La traductrice m’annonce que nous attendons tout le corps diplomatique, invité par l’embrassade de France, à l’exception de l’ambassadeur du Laos qui a annoncé son absence ! Nous n’en attendions pas moins ! Cependant, souvenons-nous qu’il s’agit surtout de célébrer l’anniversaire l’indépendance de la Mongolie, que l’événement importe, indépendamment de nos talents d’artistes franco/mongols…

Mais à 9h précises, nous assistons à un autre ballet, celui des balais brosses et des serpillères. Six femmes de ménage dépensent une énergie folle à nettoyer le tapis de danse sous les yeux du chef de service qui lui, croise les bras. Les seaux, les litres d’eau sale ou claire et leur occupation du plateau me laissent à penser qu’il nous faudra attendre encore un bon moment pour cet ultime filage. Rêveur, je contemple cet étrange ballet accompagné de sa propre musique : la cadence des brosses et le chant des ouvrières… car il est vrai que les mongols travaillent bien souvent en chantant, des chants généralement en étroite relation à la circonstance, et je n’ai pas mon enregistreur avec moi…

Heureusement… aucun des danseurs n’est encore là !

La première danseuse, joyeuse, arrive un peu avant 10h. Commence alors une grande séance d’essayage de costumes, dans la salle entre les sièges, en attendant que sèche le tapis de danse. Toute la compagnie est visiblement plus intéressée par les costumes de type mongol, que ceux spécialement conçus pour les parties contemporaines. Les costumes, nombreux, représentent un peu un raccourci de l’histoire du pays. Ils ont été l’objet d’un long travail de la part de plusieurs costumières et d’un atelier de haute couture. On se déguise en mandchou, en bourgeois mongol, en militaire russe, en danseur traditionnel… on mime la lutte, le tir à l’arc, les chevaux au galop, on rit beaucoup, on téléphone, on se photographie, on échange les nombreuses coiffures, on mange des graines de mélèze, on laisse des coquilles un peu partout sur le plateau enfin sec, on vit dans la bonne humeur…

11h : Débute enfin le filage. 

Du haut de la cabine régie qui surplombe la salle et de laquelle je n’entends rien et ne vois pas grand-chose, je déverse sur le plateau mes avalanches de sons en espérant ne blesser personne. Je connais la chorégraphie par cœur et c’est préférable car je ne dispose d’aucun moyen d’établir le contact avec Kilina qui s’est placée au centre de la salle comme à son habitude.

Les trois régisseuses lumières, à l’étage en dessous sont à leur poste : deux aux poursuites et une au pupitre du jeu d’orgues. J’admire particulièrement le métier des poursuiteuses qui découvrent le spectacle et savent très exactement où conduire leurs faisceaux de lumière et conjuguer leurs efforts. L’une et l’autre travaillent de chaque côté de l’arrière de la salle derrière le public du balcon. Elles ne se voient pas, ne peuvent pas communiquer… mais la très grande maîtrise de leur métier parle ! Elles dosent savamment les intensités, la largeur du cercle de lumière et la netteté des ombres, elles accompagnent les mouvements et conduisent avec naturel notre regard vers les danseurs solistes influant ainsi sur notre lecture du spectacle.  Cinq ou six machinistes veillent au positionnement des accessoires de décor, un régisseur son se tient à mes côtés, en cas de besoin. Il n’y a que dans ces anciens pays socialistes où l’on trouve tant de personnel dans les théâtres, qu’il y ait quelque chose à faire ou pas.

Ma cabine régie est assez pittoresque : il s’agit d’une toute petite pièce placée au-dessus du deuxième balcon. Une toute petite fenêtre donne sur la salle et j’ai l’impression de regarder la télévision. Pas moyen d’entrer en contact avec la régie lumière qui se trouve exactement en dessous de ma cabine, alors que, souvent, il faut synchroniser la conduite lumière et la conduite son. En revanche, une sorte de vieux petit poste à transistors en plastique gris émet perpétuellement de crachotis, et de temps en temps des paroles plus cohérentes qui, je pense, viennent du plateau… Pour ne pas chauffer les circuits, à l’intérieur de la console, un système de ventilation se met en route régulièrement, m’interdisant d’entendre ce qui se passe en contre bas. Le boitier électrique supporte un petit oratoire mi bouddhiste mi chamanique surplombé d’un petit bonsaï en perles de plastique d’un goût parfait ! Un très imposant magnétophone à bandes de fabrication soviétique, certainement encore en ordre de marche, me sert de table de travail : je pose dessus mon micro-ordinateur.

Le filage, exceptionnellement, se déroule sans aucune interruption ce qui est de bon augure pour la suite, nous n’avons à reprendre que le final… sans trop de cafouillages. La pression qui monte peu à peu fait que chacun est à sa place et reste concentré comme si nous faisions une grande improvisation écrite !

15h : Devant une demi-salle de jeunes d’âge lycéen, les téléphones portables sur les genoux, la première à enfin lieu. Tout est conforme au dernier filage. Visiblement, devant ce public qui compte parmi les plus difficiles puisqu’il ne s’encombre jamais de conventions et laisse toujours ses sentiments à découvert, le spectacle semble bien fonctionner : applaudissements à la fin de chaque scène, un peu comme dans un concert de jazz, rappels à la fin.

De plus, je constate une écoute remarquable alors que j’ai opté pour une diffusion du son assez intimiste pour aller chercher l’écoute plutôt que l’imposer. (J’ai vérifié à de nombreuses reprises que l’on conquiert l’écoute en baissant le volume plutôt qu’en le poussant). La musique électroacoustique est rare dans ce type de lieu, et je pouvais craindre le pire… même si elle alterne et se nourrit de musiques et de chants traditionnels ainsi que de sons de la nature souvent familiers.

A peine terminée cette première représentation, les essayages de costumes reprennent, accompagnés de rires, de séances photos… Nous faisons le point sur la séance… mais il est évident que nous ne changerons plus rien pour ce soir… nos danseurs s’égaillent dans la nature comme une volée de moineaux.

 

A suivre.