Dans cet article, toutes les images “dynamiques” ouvrent des liens sur des sons, des textes ou documents complémentaires

Le dimanche 31 Octobre dernier avait lieu, après plusieurs reports dus à la pandémie qui venait de paralyser la culture pendant plus d’un an, la création du Cantique des Créatures dans le cadre des Multiphonies du GRM, à l’Auditorium de Radio France.

Je projetais cette pièce depuis de nombreuses années, repoussant toujours sa mise en œuvre, sans doute inquiet de l’ampleur du chantier, et attendant que se présentent à moi des conditions de disponibilité me permettant de m’y consacrer pleinement. Le Cantique des Créature devait, pour moi, devenir le lieu de rencontre de la composition musicale et des sons de la nature et dans le même temps un moyen de rassembler deux publics qui souvent s’ignorent, voire se méprisent : celui des arts contemporains et celui des naturalistes.  

Le poème de Saint François, très imagé, traite de la place de l’homme comme créature de Dieu parmi les éléments de la nature. Il m’offre ainsi une double fonction à la fois comme propos illustrant une sensibilité qu’on appelle désormais multi-naturelle, c’est-à-dire moins anthropocentrée, et en même temps plus clairvoyante sur la question de l’exploitation de la nature par l’homme. Le texte, riche et imagé m’offrait aussi un riche catalogue sonore potentiel dont il me fallait m’emparer.

Depuis plusieurs années, je notais des idées, collectionnais des sons, revisitais ma sonothèque, numérisais des sons anciens, comme quelqu’un qui fourbit ses armes, compte et recompte ses munitions avant de se jeter dans la bataille de l’écriture acoustique. Intérieurement, je commençais à entendre le texte de Saint François trouver sa place dans ce fleuve de sons… Je savais à qui je demanderais de dire ce poème en italien moderne et je comptais sur un prochain voyage à Florence pour auditionner des voix masculines destinées à la version en italien médiéval riche d’une grande musicalité.

C’était sans compter sur le confinement général qui non seulement nous enferma tous chacun chez soi, mais ferma les frontières entre la France et l’Italie, rendant toute relation directe impossible.

L’échéance de la création approchait et je n’avais d’autre choix que mettre en place une collaboration à distance : rien ne pouvait se faire sans de bons enregistrements des voix. Heureusement, je pouvais compter sur l’équipe de Tempo Reale, cette belle structure dédiée aux musiques électroacoustique fondée par Luciano Berio en son temps, autant comme relai technique qu’artistique. Je crois que je n’avais jamais confié mon travail de prise de son à un autre que moi, et cet autre allait être Giovanni Magaglio. Par la suite le casting des voix en italien ancien (ombrien, texte original de Saint François) se faisait via des fichiers enregistrés au téléphone par des amis compositeurs et connaisseurs de la musiques ancienne.

« La voce è la casa della musica » disait Luciano Berio, Tempo Reale devenait pour moi « La casa della voce » !

Et c’est ainsi que Giovanni organisa des séances d’enregistrement avec Loredana Terminio pour l’Italien moderne et Davide Baldi Bellini dont je ne savais rien d’autre que le son de sa voix. J’envoyais des consignes d’interprétation, et rapidement m’arrivaient par le Net les premiers fichiers sons !

À partir de là pouvait commencer le travail de composition… ou plus exactement la réalisation d’un grand puzzle sonore. J’y pensais depuis si longtemps que cet assemblage se réalisait tout naturellement, comme si je devais remonter l’ensemble d’une construction pour la deuxième fois. Les deux voix se complétaient, dialoguaient, s’imbriquaient, comme si elles avaient été travaillées ensemble lors des enregistrements, alors que les locuteurs ne s’étaient jamais rencontrés ! Et je crois pouvoir dire que le Cantique des Créatures est la pièce qui, relativement à sa durée et sa complexité, m’a présenté le moins de difficultés (il est vrai que j’inaugurais avec enthousiasme un nouveau studio m’offrant des conditions idéales).  Et, enfin, je disposais de plus de temps que prévu puisque la première en concert venait d’être repoussée une première fois !

Il était convenu que cette création se ferait au cours d’une manifestation organisée par le GRM-INA, mais il en fut autrement : Alors que la situation sanitaire restait très complexe en France, une fenêtre s’ouvrait en Italie, permettant une “avant-première” en septembre 2021 à Florence dans le cadre du festival Phoné organisé par Tempo Reale.

En fin de compte tout cela n’était qu’un juste retour des choses ! Cette avant-première serait pour moi l’occasion de remercier Tempo Reale, mais aussi faire enfin connaissance avec Davide Baldi Bellini, spécialiste des langues anciennes et du chant grégorien, qui m’avait prêté sa voix et une diction qui contribuent tant au caractère de l’œuvre ! Dans la salle de concert je retrouvais Giovanni qui cette fois prenait la responsabilité technique du dispositif de diffusion.

Il y a toujours pour moi une grande inquiétude à présenter au public une œuvre musicale dont, au dernier moment, je doute toujours un peu. Mais là encore, si ce n’est quelques adaptations à l’acoustique de la salle, au fil du concert, tout m’apparaissait comme évident.  Cette avant-première était pour moi un pur moment de bonheur !

De retour en France, tout était prêt pour la création officielle au GRM, compagnon de route depuis tant d’années. Tout y était prêt pour établir la confiance : un acousmonium large et puissant permettant de grands envahissements sonores, des profondeurs de champ impressionnantes, des moments d’une grande intimité comme si l’on vous chuchotait à l’oreille, et un véritable confort de travail pour les artistes, un autre confort d’écoute lié à un auditorium d’une qualité exceptionnelle… Et pourtant, là encore, les doutes du dernier moment surgissent…  Inquiétudes liées au temps de répétitions très court du fait d’une programmation chargée due à un grand nombre de reports depuis plus d’un an … La peur d’une fausse manip… Une forme de méfiance à l’égard d’un public de “connaisseurs” qui ne laissent rien passer… 

Mais en fin de compte, puis-je imaginer le contraire ? Si je me lance dans la composition d’une œuvre aussi importante à mes yeux c’est bien que j’y suis pleinement engagé et que je crois en la justesse de mes choix… alors pourquoi ces angoisses du dernier moment ?  

Une jeune chanteuse avait confié à J.Brel qu’elle, à l’inverse du poète, n’avait jamais le trac avant un concert.

Il lui avait gentiment répondu : « j’espère pour vous que cela viendra ».