La question peut sembler simpliste… cependant…

Que savons-nous du son de la pluie, qu’entendons-nous, alors que nous sommes à l’abri, dans la voiture, ou sous le hangar au toit de tôle ou même à pied sur le chemin goudronné, abrités sous le parapluie. Entendons-nous réellement la pluie ou le capot qui résonne, la tôle qui chante ou encore le son mat de la toile ?

Est-il possible d’entendre la pluie sans entendre les matériaux sur lesquels elle s’abat ? Peut-on connaître le son réel de chaque goutte ? Émettent-elles naturellement des sons sans l’entremise d’un corps étranger ? Il est permis d’en douter …

Voici donc un son dépourvu de sonorité. La pluie ne fait que “révéler” des matériaux, des lieux, des circonstances particulières, mais possède-t-elle un timbre spécifique ? Non. Cependant c’est-elle est qui donne la nuance : une pluie forte, une petite pluie, une brève averse, de grosse ou de faible intensité de grande ou de faible densité. Voici donc un corps sonore dont l’écoute nous fournit une quantité d’informations étrangères à la chose elle-même !

En composition, surtout lorsqu’il est question d’illustrer, il devient alors difficile de choisir la bonne image acoustique. Évoquer la pluie, dans l’absolu semble impossible. En revanche, un paysage de pluie, bien choisi et adapté au propos, s’affirme comme le bon moyen de dire : oui, il pleut, mais de plus, nous sommes en plein air, ou dans la voiture. Au-delà de l’image mentale “pluie”, le son va suggérer l’image d’un lieu, le paysage dans lequel nous sommes, son acoustique, les éléments qui le composent, une saison, une circonstance… Un son enregistré génère souvent des images mentales complexes. Il ne suffit donc pas de dire : “ un son de pluie” mais de pouvoir décrire ou définir le contexte duquel la pluie est l’acteur central.

J’ai toujours aimé enregistrer sous la pluie… même si c’est difficile pour des raisons techniques faciles à imaginer. Ainsi dans mon disque La Pluie (aux éditions Frémeaux et Associée, coproduit par le musée du Quai Branly), je propose différents “paysages de pluie” enregistrée en différents types de biotopes. Certains sont peuplés d’espèces animales (oiseaux et batraciens principalement) qui en disent long sur le lieu et les conditions de l’enregistrement. D’autres semblent déserts et il ne reste que la pluie pour faire sonner les différents types de frondaisons des forêts boréales, tropicales, ou de pays tempérés qui tous sont riches de divers végétaux, d’un sol particulier et d’acoustiques propres. Dans ces espaces silencieux, il ne reste que la pluie pour faire sonner une savane sablonneuse, un bord de lac, la surface d’un étang, un simple paysage agricole voire un jardin ou un espace urbanisé…Dans la forêt mixte canadienne, une pluie fine fait sonner les feuilles de chêne encore au sol alors qu’une Grive des bois nous précise que cela se passe un matin de printemps. Dans la forêt tropicale de Martinique, les larges feuilles des fougères arborescentes sonnent comme des peaux de tambours tandis que quelques rares batraciens nous parlent de la nuit déjà tombée. Sous la surface d’un étang, dans la Dombes, un ragondin grignote tout ce qu’il trouve et des insectes subaquatiques disent que les micros sont en fait des hydrophones… Au bord de la rivière Mara, au Kenya, la pluie est abondante et ce sont quelques batraciens qui nous parlent de la nuit… (en cliquant sur la pochette du CD il est possible d’en écouter quelques extraits)

Composer un paysage de pluie est pour moi un moyen très poétique de mettre le son en œuvre : dire beaucoup en montrant peu… mettre l’écoute en avant et son formidable pouvoir de générer l’image mentale propre à chaque auditeur.

En fin de compte, de nombreux sons classés parmi les géophonies sont dotés de ce pouvoir particulier : se dissimuler à l’oreille et guider notre écoute, notre lecture du sonore : Le vent, la grêle et même la neige, par exemple, sont capables des mêmes prouesses.