1- Tout d’abord : du corps sonore à l’objet sonore :

Le corps sonore, c’est ce que j’enregistre. L’objet sonore c’est l’enregistrement.
Le corps sonore, c’est un instrument (de musique ou pas) dont je joue, ou que quelqu’un d’autre met en œuvre, voire qui produit du son volontairement! C’est un oiseau, un animal, un congénère, une machine, voire une situation, une scène de la vie… L’objet sonore c’est toutes ces activités sonores fixées dans le temps, sur un support (un disque dur, une bande magnétique, une mémoire artificielle). Et comme il est fixé sur un support, je peux l’étudier, le manipuler, le répéter, le déformer, le transformer, le mélanger à d’autres objets sonores jusqu’à oublier le corps sonore… pour construire quelque chose.
La fixation de l’objet sonore sur un support me permet sa répétition à l’infini et donc une perception affinée, sélective à chaque ré écoute. Elle ralenti et prolonge le temps inscrit, me révélant des structures que le temps réel, par sa vitesse rendait imperceptibles.

Et c’est là, bien évidemment, le moment capital au cours duquel je vais pouvoir passer de l’écoute anecdotique, figurative, vers une écoute plus… musicale.
Mais je dois comprendre que nous avons tous des fonctionnements innés d’écoute : confrontée à l’objet sonore, dans un premier temps l’écoute cherche à identifier le corps sonore, l’origine du son, et surgit alors, dans le même temps, l’image mentale, le souvenir qui l’accompagne : J’entends un chant d’oiseau, je vois mentalement un oiseau. C’est la phase d’identification, qui me permettra l’illustration sonore, l’effet théâtre, la figuration simple.
Plus intéressante est la démarche qui me pousse, au-delà de cette première lecture, à percevoir ce qui est d’ordre musical (la construction dynamique, rythmique, timbrique, harmonique, spatiale voire mélodique).
J’oublie un instant le corps sonore (origine du son) pour ne plus considérer que l’objet sonore (le son entendu indépendamment de sa cause), quitte à devoir, enfin, me permettre à nouveau un jeu sur les deux lectures.
Il me faut passer par une qualité particulière de l’écoute, celle que Pierre Schaeffer nomme “l’écoute réduite” : l’écoute réduite au son et à l’appréciation de ses qualités propres.

Ainsi par exemple, le feu et la pluie, dans la réalité et du point de vue de l’image, ne sont pas très compatibles (c’est le mariage impossible de l’eau et du feu). En revanche, si les images se repoussent ou s’ignorent, les sons s’attirent (mêmes logiques formelles, rythmiques, dynamiques etc.) C’est le double intérêt de l’écoute musicale (qui génère une sorte d’imagerie abstraite) et de l’écoute figurative.

2- Puis enfin : De l’objet sonore à la musique :

Rechercher sans fin, avec obstination. 
Sélectionner les objets.
Rechercher les bons mots pour désigner le simple.
Tenter de faire entrevoir le beau dans le simple. Dans le chant d’un oiseau par exemple.
Rendre visible, dans le chant de l’oiseau, toute la lumière du matin et son lot d’espérance. Sublimer l’objet sonore. Le décomposer pour le recomposer. L’astiquer perpétuellement. 
Tendre à en faire un objet musical.
Espérer la musique.
S’effacer derrière elle. Jusqu’à ce qu’elle apparaisse enfin, naturelle, délicatement posée sur un écrin sonore, invisible.
Que l’auditeur se demande s’il y a quelqu’un derrière… s’il y a une écriture.
Une écriture sans les traces de la maladresse des mains.
Cacher chaque coup de pinceau et chaque coup de gomme.

Faire disparaître la musique elle-même derrière ce qui doit apparaitre comme une évidence.
Que l’auditeur se demande si c’est bien de la musique.
La musique se forme dans l’oreille de celui qui écoute…
Elle est là, comme un état.
Un état d’esprit, et pourtant bien concrète.

– Qu’est-ce qu’elle dit ?
– Regarde comme c’est beau !
– Regarde ? Elle ne dit pas écoute ?
– Si! Écoute !
Mon saint patron disait : Vous voulez voir ? Écoutez! L’écoute est le premier pas vers la vision.

Je continue, je m’obstine.
Pourquoi ?
Pour suivre l’objectif.
Poursuivre l’objectif…

Rejoindre la musique, qui habite l’intérieur, tenter de la concrétiser, de la manifester, de bâtir ce monde acoustique, détaché d’une matière qui me semble chaque jour plus improbable que la veille.
Tenter de la rendre audible et détachée des supports triviaux qui l’ont vu naître…

Immatérialité du son, de l’objet sonore enfin libéré du corps sonore.