Le Merle noir et le Cossyphe de Heuglin.

Le sauvage face à l’enregistrement.

A l’occasion des nombreux “concerts d’oiseaux” et installations sonores que je présente depuis bien longtemps, sous différentes formes, dans des parcs et autres espaces de plein air, la question de l’incidence de la diffusion d’enregistrements de chants d’oiseaux de toutes origines sur la faune résidente m’est très souvent posée.

Généralement, pour éviter d’entrer dans des considérations trop complexes risquant d’inquiéter mes interlocuteurs, je réponds que ces concerts n’influent quasiment en aucune manière sur le paysage naturel.

Les familiers de la chasse me posent aussi volontiers cette question qui rejoint celle de la “repasse”, une technique souvent efficace consistant à diffuser des enregistrements pour appâter les oiseaux de manière auditive.

Aussi je réponds : « Chaque oiseau est sensible et réagit principalement aux chants de son espèce ou de son groupe. Il ne considère qu’il y a intrusion sur son territoire que si le chant qu’il perçoit possède un sens pour lui. Une mésange n’est pas alertée, a priori, par le chant d’un Plongeon imbrin ou la parade du Grand Tétras… Ces animaux, peuvent éventuellement se rencontrer ou même cohabiter sur un même territoire, mais ne partagent pas la même niche écologique, et ne sont donc pas en concurrence. Un Merle noir peut être insensible aux chants en vol de certains rapaces dont il n’a rien à craindre, alors qu’il en redoute certains autres… Et il est vrai que j’organise fort peu de concerts de rapaces ! »

 

Que dire de la réaction des espèces européennes à des chants enregistrés dans le monde entier ?

Elles ne sont, a priori, tout simplement pas concernées.

Enfin, presque tous les chants que je propose au public dans le cadre des Grands Concerts d’Oiseaux sont enregistrés à l’aube (ce qui nous vaut le sous-titre : “l’Aube Perpétuelle”) alors que les concerts se déroulent le plus souvent en soirée. Dernier détail : les enregistrements sont réalisés au printemps alors que les concerts sont le plus souvent donnés en été…  La Galerie de Portrait n’échappe pas à cette règle… seul le Safari dans le Noir organisé de nuit modifie la donne, mais il propose des paysages nocturnes peuplés principalement par les insectes, les batraciens, des mammifères et, c’est vrai, quelques oiseaux de nuit.

Puis je raconte toute une série d’anecdotes et observations pour appuyer ces dires par des contre-exemples :

 

L’expérience de cette Grive musicienne qui alarma pendant toute une soirée parce que j’avais placé un haut-parleur à l’aplomb de son nid, près de la billetterie d’un concert en plein-air, diffusant précisément le chant d’une Grive musicienne. Les grives parlent aux grives ! L’oiseau, décrivant en vol de grands cercles au-dessus de nous ignorait que ce chant, intrus sur son propre territoire, était sans doute le sien, enregistré deux ans auparavant au même endroit, à moins qu’il se soit agit de ses propres parents !

Je raconte encore le comportement de ce Pinson des arbres qui, pendant quatre jours, durant le Festival de l’Oiseau d’Abbeville, s’est livré à une véritable joute vocale, perché sur un arbuste, face à un petit haut-parleur qui jouait en boucle le chant de l’un de ses congénères.

Le matin de l’installation, lors des essais, il était resté un moment interloqué par cet objet posé dans l’herbe, l’observant d’un œil attentif, écoutant comme s’il participait aux réglages du son, invitant d’autres Pinson à constater la chose !

(Il me semble même que, sur la fin, les deux chants étaient devenus quasiment identiques).

Et de même, à la fin de la première du Safari dans le Noir, à la Hague, ces Hulottes qui semblaient vouloir prolonger la soirée par leurs parades au-dessus des toits du manoir sur lesquels nous avions disposé des haut-parleurs diffusant précisément les chants et cris tout un catalogue de rapaces nocturnes.

Cependant, si l’on se penche d’un peu plus près sur la question de l’incidence… surtout en tendant l’oreille… Rien ne semble aussi simple ou aussi définitif.

Il est vrai que, lorsque nous installons un “grand concert d’oiseaux” ou une “Galerie de portraits” en plein-air, nous le faisons pour une soirée, une journée tout au plus. Et qu’à ce niveau d’intrusion dans le paysage naturel, lui-même déjà fortement bouleversé par toutes les activités humaines, rien de tangible ne peut être mesuré si ce n’est quelques “réactions” sans traces sur la suite, quelques anecdotes plutôt amusantes… Mais sur une semaine ?

L’expérience d’une semaine (près de 10 jours en réalité) nous fut fournie par une longue installation au parc de Berg en Bos, en hollande, en 1998. Pour cette longue série, nous avions placé nos haut-parleurs sur un vaste territoire. Il fallait, pour faire le tour du Grand Concert d’Oiseaux, accomplir un peu plus d’un kilomètre de chemin au travers d’un très grand parc. Le principe même de cette immense installation est de permettre aux auditeurs de découvrir des paysages sonores présentés simultanément, enregistrés à l’aube en divers points du globe et répartis en différents points de l’espace de concert. Aussi, dans ce très grand espace d’écoute, chaque continent, Europe, Amériques, Asie, Afrique etc. était parfaitement circonscrit. Hormis pour l’Europe, l’essentiel des enregistrements m’était fournis par J. Roché et les éditions Sittelle.

Les oiseaux d’Afrique se situaient dans un espace relativement dégagé (savane oblige), les principaux haut-parleurs perchés dans les arbres, le plus haut possible selon notre habitude. Seule une petite enceinte, d’une moindre portée se retrouva sur le toit d’une petite cabane en bois dans laquelle les jardiniers du parc entreposaient des outils. 

Vers 19h, en mai le soleil est encore relativement haut, et je chassais involontairement un Merle noir chantant à tue-tête, posté sur le toit de la maisonnette, pour disposer mon haut-parleur à sa place.

Le concert débuta, le lendemain matin au lever du jour, par une représentation commentée, spécialement prévue pour les ornithologues “lève-tôt” de la région.

Puis s’ensuivirent dix jours de chants d’oiseaux, de 10h à 18h sans aucune interruption, tous prélevés à l’aube en divers points du globe. L’ensemble du programme, d’une durée d’1h20, répété indéfiniment à longueur de journée.

Logé sur le site même du concert, je passais le reste de mon temps (au lever du jour, au crépuscule et même de nuit), à enregistrer une véritable collection de portraits sonores tels que je n’en ai jamais réalisé par ailleurs.

Dix jours plus tard, dès la fin de la dernière représentation, nous devions démonter le concert au plus vite et charger le camion pour un retour en France. A la fin du démontage, je posais la question à Cyril, alors qu’il finissait de charger le camion. (Cyril était mon régisseur, un véritable collaborateur et compagnon de travail, à qui je ne cesse de rendre hommage.)

   As-tu attaqué le démontage de l’Afrique ? J’entends encore des sons du programme…

  Tout est déjà dans le camion !

Nous tendons l’oreille… C’est à n’y pas croire… Là-bas, sur la cabane, juste à la place qu’occupait mon petit haut-parleur, il y a encore quelques instants à peine, le Merle noir s’est posté, chez lui, et chante les sons d’Afrique ! Heureusement pas tous les chants du programme, mais son chant de Merle noir entrelardé de grands traits issus du solo de Cossyphe de Heuglin. A s’y méprendre ! En effet, ce Cossyphe, du fait de la beauté de son chant, tient un solo de plusieurs minutes dans le programme africain, que notre Merle noir devait entendre toutes les vingt minutes environ!

Mon petit haut-parleur a donc joué le rôle d’une serinette, ce petit instrument utilisé autre fois pour apprendre des chants aux oiseaux captifs : on leur serinait à longueur de temps la même mélodie.

Est-il resté toute la semaine à écouter ?

A-t-il chanté toute la semaine, en chœur avec les Cossyphes, sans que l’on s’en aperçoive ?

S’est-il, en fin de compte, senti envahi par un étranger contre lequel il luttait vocalement ?

Il est vrai que le Cossyphe est assez proche du Merle noir. Il y a encore peu de temps il faisait partie de la famille des turdidés, au même titre que les merles et les grives, mais maintenant on le classe parmi les muscicapidae au côté du Rouge-queue à qui il ressemble…
Notre Merle noir était sans doute concerné par un “air de famille…”

Et maintenant il chantait avec un fort accent africain, mais pour combien de temps ?

A-t-il fini par oublier cette intrusion ou a-t-il conservé quelques éléments du Cossyphe dans son répertoire ?

Et si oui, sera-t-il capable de les transmettre à sa descendance ?
Nous pouvons comparer des deux chants… J’emprunte à nouveau le chant du Cossyphe à Jean Roché.
Et l’on retrouvera facilement ce chant dans son CD édité chez Frémeaux et Associés: Mes 24 plus beaux chants d’Oiseaux.

Bien entendu il ne s’agit là que de simples constatations… qui posent des questions nombreuses, multiples et imbriquées… Au-delà de la simple observation, une recherche sérieuse et approfondie s’imposerait…

Combien me faudra-t-il donner de concerts pour tirer de véritables conclusions ?