FAIRE CHANTER LES OISEAUX AU MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE LYON
(Deuxième partie)

Ce nouvel article, fait suite au précédent. Il a été écrit à l’occasion des Nocturnes au Musée et des Rencontres au Jardin qui se sont tenues au Musée des Beaux-arts de Lyon les 2, 3, et 4 juin 2023. Je remercie tout spécialement Marie-Eve Durand et Muriel Charrière qui ont imaginé ces “visites en duo” mêlant histoire de l’Art, Histoire de la Musique et Audio-naturalisme.

L’enjeu des Visites à deux voix, au cœur de Musée des Beaux-Arts était donc, entre autres, de proposer la découverte de quelques tableaux avec le regard d’un amateur d’art sensible aux techniques de représentation, sensible aux lumières, à la sensibilité propre à chaque époque mais aussi avec le regard et l’écoute du naturaliste qui propose un nouvel éclairage sur la place du naturel dans l’œuvre d’art puis enfin nous invite à écouter le tableau en faisant chanter la nature,  jusqu’à prolonger l’expérience par l’écoute de pièces du répertoire inspirées par les oiseaux.
Il est important de pouvoir admirer tous ces tableaux avec une grande précision et une justesse des couleurs. Aussi, j’invite les lecteurs à cliquer sur les toiles pour les “visiter” à la loupe, telles que nous les propose le site du Musée des Beaux-Arts de Lyon.

Nature morte au paon 1740

Alexandre-François Desportes (1661, 1743, Paris)

Huile sur toile. Mesures : Hauteur en cm : 205, Largeur en cm : 180.

Ce tableau a été exécuté pour décorer la salle à manger de l’hôtel du Duc d’Antin à Paris.

Appelé à la cour en 1700 pour devenir peintre animalier – alors qu’il est portraitiste en Pologne (1695-96), – François Desportes a exécuté un grand nombre de tableaux représentant les chasses du roi et les chiens de sa meute. Après la mort de Louis XIV, il connaît un même succès auprès du Régent puis de Louis XV. Desportes mêle ici savamment l’architecture classique, le paysage, la sculpture et la nature morte.

Dans des peintures d’inspiration religieuse présentées dans l’article précédent, il nous apparait évident que la présence de l’oiseau était plutôt d’ordre symbolique. En revanche, dans une nature morte ou une toile comme celle-ci, qui a plutôt l’allure d’une “nature vive” tant les animaux semblent actifs, le choix du peintre se porte avant tout sur l’esthétique, le réalisme ou une virtuosité en matière de représentation. Les deux oiseaux présentés ici, de même que le singe, ne vivent pas en Europe, c’est évident, et de même n’ont aucune chance de se côtoyer ! Le paon fut importé d’Inde dès l’antiquité, en Mésopotamie, puis domestiqué en Grèce entre le sixième et le cinquième siècle avant J.C.
Aussi Le paon (Pavo cristatus) comme le perroquet (Ara arauna) sont ici présents pour le plaisir de l’œil et la prouesse picturale avant toute autre considération. Il est d’ailleurs intéressant de noter que les plus beaux oiseaux sont rarement les plus beaux chanteurs ! Et en effet, le paon « braille », « criaille », ou encore « paonne », mais en revanche il fait la roue !

Paon à l'état sauvage enregistré en Inde

Les manifestations vocales du Paon sont d’une assez grande pauvreté, ce qui ne nous étonnera pas si l’on considère qu’il faut rattacher cet oiseau à la famille des Galliformes ou en des termes plus anciens les gallinacés (la famille des poules)… Notre paon n’est, somme toute qu’un coq!
Il est l’emblème de la gloire et de l’incorruptibilité chez les anciens. Ici il est le personnage principal de la toile, et lui donne son titre. Il est aussi emblème de l’immortalité du fait du renouvellement annuel de ses plumes.
Le paon est réputé faire la roue, afin de séduire et d’impressionner… Cette roue comprend des motifs en forme d’œil, appelés ocelles. Selon la mythologie, ce sont les cent yeux du géant Argos qui décorent sa queue (en grec Argos Panoptès est « celui qui voit tout »). Ici, les formes, les matières et surtout les couleurs constituent vraiment un exercice du type “désespoir du peintre” !
Dans la réalité les couleurs chatoyantes et les ocelles sont obtenus par la structure complexe de la plume du paon et cela nous fournit l’occasion d’aborder la question de la couleur des plumes des oiseaux et de leur perception de couleurs.

Oiseaux de lumière…

L’infinité de couleurs proposées par les oiseaux n’est pas uniquement le fait de pigmentations particulières des plumes. Les pigmentations, sont même plutôt rares et l’on en distingue pratiquement deux : la mélanine qui produit les couleurs sombres ou le noir et les caroténoïdes qui sont à l’origine des couleurs “carotte”, du jaune au rouge ! Et tout le reste ne sera qu’un jeu de lumière, y compris pour la couleur bleue.

Dans le cas de notre paon, la forte présence de mélanine fait que les plumes de sa queue sont noires.

Ce noir permet une absorption complète du spectre lumineux.
Lorsque la plume est éclairée, selon le chemin parcouru par les radiations lumineuses dans les micro-lamelles parallèles dont sont hérissées les barbules, deux radiations de même couleur peuvent s’annuler. La barbule reçoit alors une lumière d’où a disparu une couleur, soit la couleur complémentaire. La couleur qui apparait alors à nos yeux dépend de l’écartement entre les micro-lamelles, celui-ci est de l’ordre de la longueur d’onde, soit de l’ordre du micron…

Il nous reste à comprendre comment l’oiseau obtient aussi des phénomènes d’irisation ou de reflets métalliques permettant de donner une vraie vie à ses couleurs, et pour cela j’invite notre lecteur à se plonger dans le livre capital de Jean Dorst : Les Oiseaux ne sont pas Tombés du Ciel.

Une dernière réflexion, au sujet de la couleur des oiseaux, nous amène à considérer que nous ne voyons pas tout ! L’œil des oiseaux lit un spectre de couleurs beaucoup plus large que le nôtre ! Dans notre rétine, nous possédons trois types de photorécepteurs (les cônes) qui nous permettent de distinguer le rouge le vert et le bleu et d’apprécier toutes les autres couleurs issues de leur associations … Les oiseaux possèdent un quatrième type de cône permettant de voir les ultraviolets, ce qui change tout… sans doute l’étourneau brille-t-il de mille feux !

On ne peut pas vivre dans un monde où l’on croit que l’élégance exquise du plumage de la pintade est inutile (Giono, Un roi sans divertissement).

L’Air (1611)

Jan I Brueghel (1568, Bruxelles – 1625, Anvers)

Huile sur bois. Mesures : Hauteur en cm : 46, Largeur en cm : 83

Jean Breughel de Velours 1568 – 1625 est le fils de Pierre Breughel l’Ancien.
Formé par sa grand-mère, miniaturiste, il part en Italie à 21 ans et y demeure de longues années.
Ami de Rubens et maitre de Seghers, il est appelé de velours à cause du traitement fin des détails, des textures de sa peinture similaire au velours qu’il affectionne particulièrement pour se vétir. Il garde de sa formation un goût pour la miniature, notamment dans ses peintures de fleurs qui furent parmi les premières de ce genre.

Ce tableau, de petit format, fait partie d’une série de quatre huiles sur bois consacrés aux quatre éléments. Les quatre compositions sont assez similaires : des personnages mythologiques au centre, des chérubins, éventuellement des faunes et des scènes réalistes comprenant des personnages souvent lointains et une forte représentation du monde animal et végétal. Les oiseaux sont présents et nombreux sur les quatre toiles, mais il est évident qu’ils prennent toute leur place dans l’élément air !

Les oiseaux exotiques côtoient les espèces européennes, les chérubins ont ici des ailes d’anges, les chauves-souris sont elles aussi présentes, et l’on retrouve avec plaisir le Paon et l’Ara de la Nature morte au Paon de Desportes, le Chardonneret élégant de Renaud et Armide et même la Colombe du Baptême du Christ (que nous avons rencontrés dans le numéro précédent), tous proches de la Huppe fasciée (Upupa epops) sur laquelle nous allons revenir.
Certains oiseaux sont représentés posés au sol, d’autres perchés, d’autres en vol, et les postures, bien entendu, ne sont pas toujours celles du chant… Et si chacun devait chanter, il est certain que nous n’entendrions pas un léger fouillis d’oiseaux (pour reprendre l’expression d’Olivier Messiaen) mais un vacarme sans doute incohérent.

Les représentations sont très réalistes et nous permettent presque d’identifier tous les individus représentés. De la même manière, les échelles et proportions sont à peu près respectées. Chacun est à peu près à sa place dans la toile, si ce n’est les oiseaux nocturnes qui semblent très étonnés de se trouver là, à ce moment-là !
Représenter les oiseaux posés, ou perchés, tels qu’ils le sont dans les cabinets de curiosité est sans doute plus facile pour le peintre qui a un sujet directement sous les yeux et ne doit pas obligatoirement imaginer à quoi ressemble le vol de telle ou telle espèce.

Un tableau réalisé à partir d’oiseaux naturalisés ?

C’est à partir du seizième siècle que certaines techniques de taxidermie ont permis la conservation des peaux, et c’est encore comme cela qu’on les conserve. (Le musée de Confluences, à Lyon, possède dans ses réserves un nombre impressionnant de peaux soigneusement rangées et conservées dans des grands tiroirs). Le développement de ces techniques a participé au développement des cabinets de curiosités et des premiers musées d’histoire naturelle. Pierre Belon (1517/1564), célèbre naturaliste qui a donné son nom à plusieurs espèces, écrit l’un des premiers traités de taxidermie.
Il est donc permis de supposer que c’est à partir de spécimens naturalisés que Brueghel réalise un certain nombre de ces portraits d’oiseaux. D’où une grande justesse dans les formes et les couleurs, mais une plus grande approximation dans certaines postures, notamment en vol).
On sait, par exemple, que Buffon, plus d’un siècle plus tard, décrit, dans les dix volumes de son Histoire Naturelle, un assez grand nombre d’espèces qu’il n’a jamais observées sur le terrain, mais dont il a entendu ou lu des descriptions faites par des explorateurs. Il a aussi examiné des sujets naturalisés, voire travaillé sur des dessins et des gravures pré existantes.

Venons-en donc à notre Huppe fasciée

Voici un oiseau qui chante son nom : houp houp houp … et qui est connu depuis l’antiquité comme l’oiseau malpropre et malodorant. En effet, nous savons que la huppe niche souvent au sol ou dans des anfractuosités faciles d’accès pour les prédateurs. Aussi, pour cet oiseau, la parade consiste à protéger son nid et sa nichée d’une manière olfactive, au moyen d’excréments particulièrement répulsifs !
La huppe, dans le même temps, laisse de nombreuses traces dans notre vocabulaire courant : la crête qu’elle porte fièrement au sommet de sa tête est devenue la huppe, le port fier et droit de l’oiseau inspire le qualificatif “huppé” attribué à certaines personnes. Et bien sûr, cette injure médiévale portée à l’encontre des personnes sales et malodorantes : salle huppe ! rapidement devenu salope !

Cependant la Huppe fasciée est aussi le personnage principal, de La Conférence des oiseaux, un célèbre recueil de poèmes médiévaux originellement écrit en persan, publié par le poète iranien Farid al-Din en 1177. Le poète raconte que tous les oiseaux du monde partent en voyage à la recherche d’un roi. C’est la huppe qui va leur servir de guide. Elle se présente comme la messagère du monde invisible et est décrite comme portant sur la tête la couronne de la vérité, elle représente aussi la sagesse, l’intégrité, la connaissance. Ce voyage des oiseaux symbolise l’itinéraire mystique de l’âme, à la recherche du divin.

Le chant de la Huppe fasciée est des plus simples : trois notes calmes et flûtées, répétées indéfiniment par l’oiseau, bec presque fermé, perché à mi-hauteur. Les séquences peuvent se prolonger une bonne demi-heure et le son possède une grande portée.

Cet enregistrement a été réalisé en mai dans le delta du Danube au bord du fleuve, et le son continu qui accompagne ce chant est celui de milliers de Sonneurs à ventre jaune dont la clameur est incessante en cette saison.

L’oiseau sublimé.

Après avoir considéré la question de la représentation de nombreuses espèces d’oiseaux dans la peinture, (que nous pourrions sans doute prolonger indéfiniment dans l’ensemble des arts plastiques), arrêtons-nous sur l’idée de l’oiseau sublimé…
Pas une espèce particulière choisie pour l’esthétique de ses formes, de ses couleurs ou encore de ses gestes, ni choisie pour sa valeur symbolique ou culturelle, pas même un individu unique, mais l’oiseau en tant que tel, l’oiseau archétype, l’oiseau dans l’absolu, l’oiseau abstrait… l’oiseau sublimé. Un objet, ou une musique qui nous dise l’oiseau… tout simplement.

Pour moi, une réponse musicale à cette question se trouve avec Syrinx de Claude Debussy, alors qu’une réponse plastique à la représentation de l’oiseau sublimé pourrait être l’Oiseau d’Or du Sculpteur roumain Constantin Brancusi.

Syrinx est le nom de l’organe vocal de l’oiseau, placés plus bas dans le corps de l’oiseau que le larynx chez les autres vertébrés. C’est occasionnellement le nom donné à la flûte de pan… Mais ici, pour nous, c’est surtout le titre d’une pièce pour flûte traversière de Debussy composée en 1913, originellement destinée à la scène et intitulée “la flûte de Pan”.

Constantin Brâncusi 1876/1957 est un sculpteur ayant poussé l’abstraction à des niveaux jamais atteints, il ouvre la voie à la sculpture surréaliste, ainsi qu’au minimalisme et aux courants archétypaux. Son Oiseau dans l’espace (1941, Musée Beaubourg) est une des dernières variations sur le thème de l’oiseau, dans laquelle il ne reste plus de l’oiseau qu’une tension, une énergie, un mouvement, la légèreté… l’oiseau sublimé.