FAIRE CHANTER LES OISEAUX AU MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE LYON
(Première partie)

Ce premier article a été écrit à l’occasion des Nocturnes au Musée et des Rencontres au Jardin qui se sont tenues au Musée des Beaux-arts de Lyon les 2, 3, et 4 juin 2023.    Je remercie tout spécialement Marie-Eve Durand et Muriel Charrière qui ont imaginé ces “visites en duo” mêlant histoire de l’Art, Histoire de la Musique et Audio-naturalisme.

Du Moyen-âge à nos jours, les oiseaux habitent nos fresques, nos tableaux, nos sculptures, nos divers modes de représentation et ce de manière constante, ainsi, ils envahissent subtilement l’intérieur de nos musées…  


Il y a ceux qui nous sautent aux yeux, dont la présence s’impose au centre des représentations, mais aussi ceux, plus discrets, presque dissimulés, qu’il faut chercher, qui nous apparaissent fortuitement, dont la présence nous étonne, nous questionne, et enfin tous ceux que l’on ne voit plus tellement nous sommes habitués à leur présence, espèces commensales de nos œuvres d’art qui, pourtant, ont tant à nous dire.

Et précisément, les oiseaux ne sont jamais là par hasard !

Ils sont porteurs de symbolique chrétienne ou mythologique au Moyen-âge ou à la Renaissance. Ils sont sujets esthétiques dans la peinture classique, stimulant la virtuosité des artistes, images fascinantes nous parlant d’exotisme ou de contrées lointaines… Ils sont encore réceptacles de nos états d’âme les plus intimes, miroirs de nos sentiments chez les romantiques voire les impressionnistes, présence du sauvage à portée de notre regard, objets ou personnages à contempler pour tous.
L’enjeu des visites à deux voix, au cœur de Musée des Beaux-Arts était donc, entre autres, de proposer la découverte de quelques tableaux avec le regard d’un amateur d’art sensible aux techniques de représentation, sensible aux lumières, à la sensibilité propre à chaque époque mais aussi avec le regard et l’écoute du naturaliste qui propose un nouvel éclairage sur la place du naturel dans l’œuvre d’art puis enfin nous invite enfin à écouter le tableau en faisant chanter la nature et les oiseaux, pour aller jusqu’à prolonger l’expérience par l’écoute de pièces du répertoire inspirées par les oiseaux.
Il est important de pouvoir admirer tous ces tableaux avec une grande précision et une justesse des couleurs. Aussi, j’invite les lecteurs à cliquer sur les toiles pour les “visiter” à la loupe, telles que nous les propose le site du Musée des Beaux-Arts de Lyon.

Temps gris, Marais de La Burbanche (1868)

Adolphe Appian

Huile sur toile. Hauteur en cm : 71,8, Largeur en cm : 133,6

TEMPS GRIS

Adolphe Appian 1818 /1898, est un peintre et graveur de l’École Lyonnaise.

Il suit des études de dessin à l’École des Beaux-Arts de Lyon. Il débute dans la carrière comme dessinateur dans les soieries de Lyon, avant de se lancer dans la peinture de paysages.
Il rencontre Camille Corot et Charles-François d’Aubigny qui marquent durablement son travail et sa carrière. Jusque-là, il se partageait entre musique et peinture, désormais, il se consacre principalement à la seconde, adoptant le style de l’École de Barbizon.
La Burbanche est un petit village situé dans une vallée, au pied de deux grands escarpements rocheux dans le secteur de Bellay dans l’Ain. Ce tableau est vraisemblablement réalisé dans l’atelier de l’artiste.

Lire un paysage

Deux outils pour lire un même paysage : l’écoute et le regard…

Si le tableau, par définition, est la représentation muette d’un paysage, l’écoute d’un enregistrement, ou d’une recomposition, nous propose à son tour une représentation sonore, mais aveugle, du même paysage… et, dans un cas comme dans l’autre, avec un regard averti ou une écoute aiguisée, nous devrions “voir” la même chose.

A priori, le tableau ne nous montre rien de sonore : une seule espèce d’oiseau visible, des Cigognes blanches Ciconia ciconia, des eaux apparemment stagnantes donc silencieuses, une végétation abondante mais opaque et elle aussi silencieuse en l’absence de grand vent. Cependant, tout amoureux de la nature s’y retrouve comme dans un paysage familier. La Cigogne blanche est migratrice : elle nous arrive au printemps pour repartir en juillet, ce qui constitue une indication de date. Ici, tout me laisse à penser que nous sommes courant mars ou avril, avec une végétation encore peu fournie mais déjà libérée des grands froids. La cigogne se nourrit de batraciens, insectes, poissons, petits vertébrés, reptiles… là aussi c’est une indication sur la présence possible de nombreuses espèces non visibles dans le tableau.

Le temps est gris, certes, mais la saison semble riche, propice aux premiers chants d’oiseaux et de batraciens. La végétation est variée et offre un grand nombre d’habitats spécifiques : grands arbres feuillus isolés, forêts inondées, haies touffues, reliefs abrupts avec falaises, roselières abritant sans doute de nombreux oiseaux d’eau, surfaces d’eaux peu profondes peuplées batraciens, de nénuphars et autres plantes aquatiques… nous pourrions dire qu’à chacun de ces espaces particuliers correspondent des espèces animales et sonores bien précises.

Les productions vocales de la cigogne sont rares, alors que les claquements de becs sont une véritable signature sonore de l’espèce, le plus souvent produits au nid sous la forme de salutations ce qui prend donc l’allure de duos.

Dans ce paysage sonore recomposé en prenant le tableau comme modèle ou comme “partition” nous entendons un assez grand nombre d’espèces d’oiseaux, de batraciens et d’insectes. Citons principalement : Rousserolle turdoïde, Fauvette à tête noire, Tourterelle turque, Geai des chênes, Grèbe huppé, Grèbe castagneux, Foulques macroules, Corneilles noires, Cigognes noires claquant leurs becs, Grillon champêtre, Grenouilles rieuses…

Renaud et Armide
Anonyme de la première moitié du  XVIIe siècle, Italie

Huile sur toile. Hauteur en cm : 123,7, Largeur en cm : 101,5

renaud et armide

Un amour impossible 

L’histoire de Renaud et d’Armide se trouve dans le poème « La Jérusalem Délivrée » de Torquato Tasso, dit Le Tasse. L’action se passe pendant les croisades…
Armide, fille du roi de Damas, magicienne musulmane, souhaite la défaite et la mort des Croisés. Par ses enchantements elle a déjà attiré de nombreux chevaliers séduits par sa beauté dans son île enchantée pour les changer en animaux. Armide rencontre Renaud, et s’éprenant de lui, l’emmène dans son île où elle le maintien dans une dépendance amoureuse. Pour cela, elle use d’un miroir de cristal dans lequel Renaud ne voit que la beauté de son amante.
Profitant de l’absence de la magicienne, deux chevaliers, chargés de le ramener à Jérusalem, lui présentent un bouclier de diamant dans lequel Renaud se voit enfin tel qu’il est devenu, efféminé et alangui, couvert de bijoux et de parfums.
Il fuit alors cette île où l’amour le tenait enchaîné. Armide s’en aperçoit et tente en vain de le retenir.

Dans ce tableau, le Chardonneret élégant Carduelis carduelis est représenté de manière très précise et nette, (c’est souvent le cas quand il est représenté en peinture). Il est positionné en pleine lumière, perché, comme un personnage de premier plan, chargé d’un message à nous transmettre.

Cet oiseau, le plus souvent sédentaire, très mobile, se rencontre dans presque toute l’Europe, dans les campagnes cultivées, les vergers ou tout près des habitations. Il est exclusivement granivore et recherche en priorité les graines de chardon (ce qui lui vaut son nom, Carduelis carduelis) mais aussi les graines de bardanes, de bouleau, d’aulnes, de pins…

Le nom de l’oiseau et son attachement au chardon évoquent la couronne d’épines. Ici, il symbolise la souffrance et le sacrifice à venir pour Renaud et Armide. Le bestiaire chrétien raconte que le Chardonneret aurait voulu retirer une épine de la couronne plantée au front du Christ, et l’arrachant aurait fait gicler un peu de son sang, gardant au front sa belle couleur rouge. Effectivement sa présence dans la peinture est fréquente et chaque fois, l’oiseau annonce un épisode à venir.

Le chant du Chardonneret élégant est fait d’une seule phrase très typée (dont la durée est très variable) et qui se prête à̀ de nombreuses variations. Le timbre est très clair et sonore, les mélodies sont jouées de manière très détachée.

Le Concerto opus 10 N°3 pour flûte le Chardonneret d’Antonio Vivaldi est quasiment contemporain du tableau. On a souvent prétendu que la musique de Vivaldi était descriptive voire figurative, ce qui est relativement vrai pour les Quatre saisons par exemple qui sont-elles même une sorte de transposition musicale d’un texte poétique.  Et c’est encore le cas avec cette pièce qu’il me semble préférable d’écouter interprétée avec une grande justesse d’esprit par l’ensemble Matheus dirigé par Jean Christophe Spinosi avec Sébastian Marq à la flûte, pour le jeu léger, détaché, précis, incisif propre au chant de l’oiseau.

Notons enfin que Renaud et Armide se retrouvent fréquemment dans les arts de l’époque : Ainsi Vivaldi a composé une pièce Armida al campo d’Egitto en 1718 qui obtiendra un grand succès… ces histoires du type Orlando Furioso sont alors très en vogue.

Présence d’autres chardonnerets dans la peinture…

De la même manière, dans la Vierge au Chardonneret de Raphaël (Musée des offices à Florence), l’oiseau occupe le centre de la toile et annonce déjà le sacrifice du Christ. Ce thème se retrouve dans près de 500 tableaux, principalement de la renaissance.

Dans Le poème de l’Âme de Louis Janmot (1854) surle tableau 11 (Virginitas) un Chardonneret élégant est aussi présent, discrètement sur la gauche , ainsi qu’une Tourterelle turque sous la main du personnage de droite. (références aux souffrance à venir avec le Chardonneret et à la pureté avec la Tourterelle qui n’est autre qu’une colombe).

Le Baptême du Christ

Francesco Albani 

Huile sur Toile : Hauteur en cm : 78, Largeur en cm : 99

Francesco Albani, dit l’Albane, né à Bologne en 1578 et mort dans la même ville en 1660 est un peintre italien baroque.
Dans ce tableau extrêmement coloré, nous notons immédiatement la présence d’une colombe placée très exactement au centre du tableau, comme étant le personnage principal : l’Esprit Saint descendant sur le Christ.

D’un point de vue strictement ornithologique, cet oiseau porteur d’une grande symbolique n’existe pas en tant que tel ! Il ne s’agit pas vraiment d’une espèce, mais d’un individu particulier : soit un Pigeon biset blanc, soit une Tourterelle blanche, tous deux frappés de leucistisme ou d’albinisme, issus d’une sévère sélection. Pigeons et tourterelles deux espèces pourtant classées dans la famille des “Colombidés”… En latin, columba signifie pigeon.

La Colombe est très présente à la fois dans l’iconographie religieuse occidentale depuis l’antiquité, sous la forme de sculptures, bas-reliefs, mosaïques, poteries, orfèvreries, et bien entendu dans la peinture. Elle représente la paix divine, les vertus de pureté, douceur, fidélité, simplicité, résignation.
Ainsi, nous retrouvons la colombe dans tous les grands épisodes de la Bible, de la Création à la Genèse, du baptême du Christ, jusqu’à l’Ascension puis la Pentecôte.
La colombe représente la paix et la réconciliation et c’est à ce titre que c’est elle qui rapporte un rameau d’olivier à Noé à la fin du Déluge.
La colombe représente aussi l’Esprit Saint, au moment de le Création : Et la terre était désolation et vide, et il y avait des ténèbres sur la face de l’abime. Et l’Esprit de Dieu planait sur la face des eaux. Genèse 1 :2
Ou encore au moment de l’Annonciation… pour évoquer quelque chose d’inenvisageable… d’où nous vient cette expression si familière : « Par l’opération du Saint Esprit ! ». Et c’est encore à ce titre qu’elle intervient dans le Baptême du Christ, entourée d’anges comme très souvent … Dans l’esprit du peintre, ce tableau est aussi une parfaite représentation de la Trinité, puisque la Colombe est représentée exactement entre le père (lui aussi entouré d’anges) et le Christ lui-même.

Par la suite, la Colombe devient l’emblème du Christ lui-même, certaines fois de la Vierge Marie dans sa pureté et enfin de l’Église même dans sa fidélité.

À suivre avec d’autres tableaux du Musée des Beaux-Arts de Lyon…