PERMANENCE DU MODÈLE, VARIÉTÉ DES REPRÉSENTATIONS.

« Il faut tout rapporter aux phénomènes de la nature et aux lois qui la régissent ; cela permet d’éviter le vieillissement… Pour l’artiste, le dialogue avec la nature reste une condition sine qua non. L’artiste est homme, il est lui-même à la fois nature et élément de la nature dans l’espace de la nature. » Paul Klee

La représentation des oiseaux et de la nature se présente à nous sous de multiples formes correspondant pourtant à des modèles esthétiques eux-mêmes permanents. Nous l’avons vu récemment dans nos articles consacrés à la place des oiseaux dans la peinture occidentale. Il en est de même sur l’importance de leur présence dans nos musiques. Oiseaux traces de vie, miroirs réfléchissant nos sentiments, porteurs de symbolique, objets esthétiques, porte-paroles de la nature dans nos musiques, voix off du paysage sonore.

Depuis que le monde est monde, chaque oiseau, chaque insecte, chante la marque de son espèce de manière identique, au moins le suppose-t-on. Si des changements de conditions de vie ont pu pousser une espèce à s’adapter et éventuellement modifier ses émissions sonores, il nous semble que ces évolutions ont été très lentes, et n’ont en rien modifié la signature vocale d’un oiseau et encore moins celle d’un insecte.

Depuis que le monde est monde, les hommes écoutent ces chants et les déclinent, à leur manière, dans leur musique.

Alors que la proposition musicale qui nous est offerte est intemporelle, et ne subit pas de variations dans le temps, la manière dont les hommes ont, par leur musique, évoqué ou représenté les chants de la nature a évolué et reflète ainsi chaque époque mais aussi diverses cultures. Des cultures souvent contemporaines mais différentes se manifestant par des pratiques et des styles variés. De Janequin à Messiaen, en passant par les folklores de l’Europe de l’Est, l’Alouette, par exemple, parcoure le répertoire, chaque fois différente et toujours alouette.

Il en va de même en peinture nous l’avons vu dans nos articles précédents. Le lys, par exemple, dont nous sommes certains qu’il n’a pas changé au cours des siècles dans sa réalité “botanique”, change de forme ou d’allure au gré des époques et des contextes dans lesquels il est représentés. Relativement réaliste sur les murs de Pompéi, immense et longiligne chez Fra Angelico ou Vinci, stylisé à la cour de France, coloré dans les bouquets de Boucher, logo design au vingtième siècle…

Le style et l’esprit d’une époque deviennent, par comparaison au modèle intemporel, des mouvements fugaces, analysables, identifiables d’une manière presque rationnelle. Dans le cursus des études de musicologie, nous apprenons à identifier et à décrire différents critères permettant de pratiquer la discipline intitulée “reconnaissance de style”, qui dans le même temps est enseignée au cœur d’une des matières fondamentales du cursus : “l’évolution de la musique” ! Ce titre nous signifiant à quel point l’évolution des musiques occidentales est dynamique, liée à un perpétuel désir de renouvellement, de nouveauté, de conquêtes de nouveaux territoires esthétiques, alors que d’autres traditions aux évolutions beaucoup plus lentes s’inscrivent davantage dans une volonté de conservation, de transmission.

L’histoire de l’art, surtout en occident, est en perpétuel mouvement. Elle est le récit des transformations, des changements de valeurs, elle est le reflet de sociétés elles-mêmes en perpétuelles transformations.

Cette dialectique entre permanence et variation, entre temps figé et instant mobile m’invite à me pencher du côté des musiques traditionnelles et de leur relation au modèle naturel avec cette question : Qu’en serait-il d’un art à la fois vivant et perpétuellement renouvelé, s’appuyant à la fois sur le modèle naturel et une tradition forte assurant une forme de permanence. Il me semble que ce modèle n’est viable qu’en dehors de la culture occidentale… Existe-t-il une musique traditionnelle vivante, s’inscrivant davantage dans une logique de variation plutôt que d’évolution ?

Ces chants du Burundi aujourd’hui disparus, enregistrée pour Ocora Radio-France au cours des années 60, si proches de ceux des Gonolecs à ventre blanc (enregistrés ici par J.Roché) eux aussi chantant en couple et originaires des mêmes contrées ont-ils connu de lentes évolutions parallèles ?