Le temps de l’écoute, le temps du regard

L’EXPOSITION ACOUSMATIQUE

Dans l’article précédent, j’affirmais:
« L’écoute propose une durée au regard et à la contemplation, elle ralenti considérablement le visiteur ».

L’Exposition Acousmatique, série de compositions électroacoustiques initiée en 1983 et créée en intégrale à la Maison de la Danse en 1987, se proposait déjà de prendre des tableaux comme partitions en tentant musicalement de faire vivre des vibrations, des couleurs, des espaces, des profondeurs, des évolutions dynamiques, des confrontations d’abstractions et de figurations, dans le temps d’une écoute.
Trois œuvres, de trois peintres différents, fournissaient non seulement la thématique de mes développements musicaux, mais aussi un titre à chacune des pièces :

JOUR DE LENTEUR   Yves Tanguy

ARCHITECTURE DU PLAN   Paul Klee

CATHEDRAL    Jackson Polloc

Bien entendu, il n’était pas question pour moi d’illustrer les tableaux, mais plutôt de les commenter musicalement, de tenter de valoriser leurs valeurs picturales, par exemple les ambiguïtés surréalistes entre figuration et abstraction chez Tanguy, les transparences des couleurs et la composition de l’espace chez Paul Klee, le mouvement, le rythme et l’énergie des gestes (le fameux dripping) de Jackson Pollock.

En concert, ces valeurs étaient alors sublimées par une installation réalisée par le plasticien Pierre Gallais qui nous proposait 3 installations (une par pièce musicale) jouant sur des lignes de lumière alors que, la salle plongée dans une parfaite obscurité disparaissait entièrement à la perception des spectateurs auditeurs.

Dans le cas de concerts en plein-air, ou dans des espaces semi ouverts, l’élimination du lieu devenait plus difficile et Pierre Gallais travaillait simultanément sur une “valorisation” du lieu et sur les compositions musicales, cela se voit sur les deux photos prises lors de l’exposition acousmatique dans le cloitre des Augustins à Toulouse.

INVESTISSEMENT PLASTIQUE D’UN ESPACE ACOUSMATIQUE

 » Les structures spatiales et lumineuses que j’implante sont des objets plastiques autonomes dont l’installation dans un espace sonore et musical ne fonctionne pas en juxtaposition ou bien encore ne relève pas de la notion de décor. Elles pourraient, plutôt, se référer à la question :
De la place de l’oeil dans l’écoute musicale?
Aucune forme anecdotique n’est recherchée ni tracée dans l’espace.
Des lignes … Ces lignes construisent un réseau, forme abstraite dans laquelle on peut reconnaître des images caractéristiques à notre approche plastique de l’espace: relation à la profondeur, parallélisme, proportions, points de fuite, angles, obliquité.
Lorsque ces structures sont implantées pour un usage plastique seul, elles mettent en jeu une attitude corporelle à l’espace invitant le spectateur à se mouvoir de manière différente à l’accoutumée. Elles Invitent à la dynamique.
Dans une situation de concert, elles doivent poser le regard sur elles et installer un climat de staticité. »
Pierre Gallais

L’EXPOSITION ACOUSMATIQUE à la maison de la Danse Lyon

Installation de Pierre Gallais

L’EXPOSITION ACOUSMATIQUE (Cloître des Augustins) Festival Faust Toulouse

Installation de Pierre Gallais

RALENTIR LE REGARD

C’est avec les peintres Giuseppe Santomaso et Gerhard Richter que je poussais l’expérience au plus loin avec la projection de photographies de tableaux dans une salle de spectacles devenue espace d’exposition le temps d’un concert.
En effet, en 1988, toujours à la Maison de la Danse de Lyon, au cours d’un seul et même concert, nous proposions au public l’écoute de deux œuvres acousmatiques, en lien à la projection de deux tableaux en grand format.
Un véritable orchestre de haut-parleurs permettait une spatialisation et une mise en relief de la musique, dans toute la salle plongée dans un noir total, donnant ainsi aux œuvres sonores de véritables dimensions acoustiques, permettant de véritables profondeurs de champs et des mouvements dans l’espace.
Chacune des compositions dure environ vingt minutes.
Pendant toute la durée des pièces, les tableaux étaient projetés sur de très grandes plaques de mélaminé blanc, de format exactement homothétique aux tableaux, suspendues dans le cadre de scène.
Les tableaux prenaient alors une très grande présence, statique, presque immatérielle. Le visuel apparaissait donc d’une manière très statique, en opposition aux mouvements des sons et leurs évolutions dans le temps musical. L’auditeur pouvait, bien entendu, garder les yeux fermés, ou, dans l’obscurité totale de la salle, ne trouvait qu’une seule image sur laquelle poser son regard pendant toute la durée de l’œuvre musicale, lui permettant ainsi d’entrer en une sorte de contemplation ou de fascination.

KERZE de Gerhard Richter

(collections du musée d’art contemporaine de Saint Étienne).
Pour en savoir plus cliquez sur le tableau
Tableau était associé à Vers l’Amen (troisième mouvement de la Symphonie pour l’Amen, de B. Fort)
Ce même tableau allait aussi devenir la couverture du CD 12 haïku pour la Paix Céleste et L’Impatience des limites.

OMAGGIO AL CROCIFISSO DI CIMABUE
Giuseppe Santomaso

(collection privée Livorno, Italie.)
Tableau associé à Trisson , d’Ocavian Nemescu compositeur Roumain
Œuvre composée dans les studios du GMVL.
Pour en savoir plus cliquer sur le tableau.

Les réactions (généralement positives) du public, recueillies à la sortie du concert, montraient que la dynamique musicale (forme, développements, intensités) s’était portée sur la lecture des tableaux. Certaines personnes s’étant même posé une question : s’agissait-il de la projection de films laissant deviner, par quelques légers traitements de l’image, quelques mouvements infimes et changements dans les tableaux, notamment dans la représentation de la flamme de la bougie chez Richter, ou le tracé de certaines lignes chez Santomaso !
De plus, alors que nous venions d’imposer au regard une seule image pendant vingt minutes, personne n’avait trouvé trop longues ces durées uniquement déterminées par la musique elle-même !