Le Yatga (1)

Un instrument de musique

 ULAANBAAATAR 2007

Depuis longtemps je désirais faire la connaissance de cet élégant objet au couleurs sonores de restaurant chinois, avec le pressentiment que cela devrait me conduire… quelque part ! Je posai la question à mon ami chanteur/danseur et chorégraphe Bayarbaatar qui me présenta une magicienne de l’instrument : Chinbat Baasankhuu avec qui nous allions tourner en concerts, autant en France qu’en Mongolie durant plusieurs saisons.
Cette rencontre était le point de départ d’une véritable étude : écouter, entendre et ré-entendre un répertoire nouveau pour moi, puis observer, enregistrer pour comprendre le Yatga, ses modes de jeu…  Contempler la danse des mains sur les cordes… Puis, dans un troisième temps, faire le pari de composer pour cet instrument, sur partitions, moi qui ne suis plus instrumentiste depuis bien longtemps et qui n’envisage souvent la composition que dans l’assemblage de sons enregistrés.  

L’INSTRUMENT ?
Il existe en deux versions : Le petit Yatga à 13 cordes et le grand Yatga qui, lui, en possède 21 (Pour yatga prononcez tout simplement “yata”).

Petit Yatga 

C’est l’instrument mongol par excellence, la forme la plus ancienne, robuste et facile à transporter (on l’accroche simplement à dos de chameau dans une simple housse, il participe à la vie des nomades). Il est propre à accompagner les chants ou à jouer seul, sous la yourte ou en plein air, dans la steppe. La caisse est peu profonde et donne à l’instrument le profil d’une planche de snowboard ! Les chevalets de bois, tous mobiles sont hauts et permettent d’accorder l’instrument rapidement. Avec ses 13 cordes de soie, le petit Yatga, le plus souvent, se joue assis, posé sur les genoux, le bout de l’instrument posé au sol.

On le trouve en Chine, au Japon sous la forme du Koto et même en Corée où il devient le Gayageum et ne se retrouve plus qu’avec 12 cordes, joué par terre !

Grand Yatga

L’instrument de concert par excellence : sonore, capricieux, encombrant et fragile, élégant, posé à l’horizontale sur ses deux chevalets.
La caisse, plus profonde est légère, décorée à la chinoise ou en bois brut de Paulownia comme le veut la tradition. De conception plus moderne, il s’accorde avec une clef, comme on le fait pour les cordes du piano. La corde sonne, curieusement, des deux côtés du chevalet ce qui produit une résonance, une sorte de réverbération naturelle que ne possède pas le petit instrument dont les cordes, dans la partie non utilisée, ne peuvent pas sonner car elles sont volontairement alourdies par leur système de fixation à la caisse.
Comme pour le petit Yatga, les chevalets sont très haut, tous mobiles et il n’est pas rare de voir l’instrumentiste accorder l’instrument, en déplaçant les chevalets, pendant l’exécution même d’un morceau. Cependant, on joue à droite des chevalets, la partie gauche de la corde n’étant pas véritablement “accordée” mais servant de résonateur à l’instrument, et permettant certaines interventions sur la hauteur du son.

Enfin, sur la droite de l’instrument, un petit coffret permet le rangement de la clef d’accordage, et de quelques cordes de rechange, le plus souvent métalliques et filetées.

Rarement je n’ai rencontré d’instrument aussi “complet” et aussi riche, en timbres, en possibilités mélodiques ou encore en modes de jeu. Pour moi, le Yatga est sans doute à l’Orient ce que le piano est à l’Occident, il est tout aussi répandu, et possède néanmoins, quelques particularités intéressantes, dont sa facilité à être déplacé et transporté, accordé et entretenu, par l’interprète plutôt qu’un spécialiste.

A première vue, on peut se demander comment un instrument, généralement rangé dans la famille des harpes, possédant aussi peu de cordes peut proposer une telle richesse dans la diversité des jeux, de timbres et des hauteurs. De même, on pourrait penser qu’une gamme ne possédant que 5 notes est certainement plus pauvre qu’une gamme diatonique, voire chromatique… C’est sans compter avec une culture musicale ancienne et riche, mais aussi des particularités de jeu qui décuplent le potentiel sonore de chaque corde. A ce titre, notre harpe européenne, aussi élégante soit-elle, fait bien pâle figure… 
Dans le même temps, je ne trouve que la guitare électrique capable de rivaliser avec le Yatga ! Encore que… avec le Yatga on se passe du courant électrique !

Comme notre piano, le Yatga est précisément capable de très grandes nuances entre piano et forte.

Comme notre piano, le Yatga est un instrument à la fois mélodique et harmonique.

Comme notre piano, le Yatga est capable de tenir une partie de solo jusqu’à assurer un répertoire spécifique et aussi de se proposer comme l’un des meilleurs accompagnateurs d’autres solistes, instrumentistes ou chanteur. Mais à la différence de notre piano, le Yatga se joue aussi en groupe et constitue un pupitre à part entière dans l’orchestre oriental.
L’instrument est aussi fréquent dans des formations traditionnelles ne comportant que quelques musiciens, aux côtés de la vielle-cheval (Morin khuur) ou de la flûte mongole (Limbe) et bien sûr des chanteurs et chanteuses.

Enfin, et c’est sans doute là sa principale identité, le Yatga, à la différence du piano mais aussi du clavecin, propose un mode de jeu purement tactile, sans aucun intermédiaire entre les doigts de l’instrumentiste et la corde qui sonne (pas de touches comme sur un clavier, pas de plectre sauf à de très rares exceptions). Aussi, le geste et la main, comme au djembé par exemple, sont véritablement partie génératrice du son.
Les cordes sonnent comme des caresses ou comme des cloches, comme des lames de bois ou de cristal, comme des cordes pincées, frottées, frappées.

GLISSANDO : Les deux mains produisent le son, mais la main gauche se trouve souvent sur la partie gauche de l’instrument pour la réalisation de nuances (glissandos souvent importants obtenus en appuyant fortement sur la partie inutilisée de la corde jusqu’à lui faire toucher la surface de la caisse).

Voici donc un instrument capable de produire avec une grande précision, des sons fixes et justes mais aussi des sons à hauteur variable, glissant du grave vers l’aigu ou encore de l’aigu vers le grave ! Ces fluctuations de hauteur se trouvent même au cœur de ces musiques d’Asie alors que l’occident reste très attaché à la fixité de chacune des notes.

Je me demande souvent comment Messiaen pouvait transcrire pour le piano ou autres instruments occidentaux à sons fixes, des chants d’oiseaux regorgeant de sons glissés et non “tempérés”… il aurait dû se pencher sur le Yatga dont la souplesse permettrait la transcription et la restitution des moindres subtilités du chant des oiseaux.

SOURDINE/ARPÈGES : Des effets de sourdine sont obtenus en plaçant le doigt juste à l’aplomb du chevalet au moment de l’attaque du son.

La corde est le plus souvent tirée, comme on le fait à la harpe, avec la pulpe du doigt. On joue une seule note ou des arpèges avec les quatre premiers doigts (l’auriculaire étant rarement mis à contribution).  La corde est souvent “prise” entre deux doigts pour être relâchée ou encore “frappée” avec l’ongle par un geste de “pichenette” (le pouce retient l’index ou plusieurs doigts avec force, puis le (ou les) relâche avec une grande vitesse de frappe, de vélocité).

PICHENETTE , GRANDS ARPÈGES ET TREMOLO : Enfin, n’oublions pas le jeu “tremolo” qui consiste en la répétition très rapide d’une seule note obtenue par un tremblement de la main qui prend appui sur l’instrument et “gratte” les cordes à proximité du début de la corde avec le pouce et l’index.

ACCORDER L’INSTRUMENT

Le Yatga (13 ou 21 cordes) s’accorde, traditionnellement, sur tous les tons de la gamme pentatonique, et certains l’accordent, pour des besoins spécifiques, sur la gamme diatonique. De même, il n’est pas rare de rencontrer une modulation en cours de morceau (changement de gamme) du fait de la grande facilité à changer la place des chevalets (en revanche, l’accord en cours de morceau est un exercice qui requiert une bonne oreille et une certaine virtuosité). Accordé de manière pentatonique, le petit Yatga couvre une tessiture de moins de 3 octaves, le grand Yatga quant à lui couvre 4 octaves.

Un grand Merci à Christian Varlet qui, nous ayant accompagné sur de nombreuses tournées, a pu filmer de très nombreux concerts. Les petits exemples vidéo présentés ici ont été tournés à la Maison de l’Orient à Paris.