Juillet 2016, Ulaan Baatar. 

Nous avons rendez-vous avec Tserenbaljir Tsevegsuren à l’Université des Arts pour quelques enregistrements. 

Tsevegsuren joue le Limbe. Cet instrument m’intrigue depuis que la musique mongole s’est imposée à moi comme une seconde culture. Je suis fasciné par cette flûte traversière sans clefs, simple à l’extrême, en bois ou en os de cheval.  Le son est si proche du souffle de l’interprète, vocal et peu sifflé, comme m’apparaît souvent le chant des oiseaux. Et précisément, aujourd’hui, j’ai rendez-vous avec l’un des plus grands maîtres de l’instrument, à la fois immense technicien, musicien et enseignant le Limbe à l’Université. Aujourd’hui j’espère voir et entendre de près, étudier le jeu, le souffle, le timbre et l’art de la nuance. 

Aussi mon enregistreur se doublera d’une caméra. 

Le virtuose accorde gracieusement à l’inconnu que je suis quelques précieux instants. Je veux surtout ne rien perdre de la rencontre… Pendant les prises de son j’écouterais avec mes oreilles seules, sans casque sur les oreilles.

A l’heure fixée, le voici!  Sa stature en impose, ainsi que son sourire bienveillant! Je n’ai pas l’habitude de m’entretenir avec des mongols plus grands que moi… 

L’Université grouille d’étudiants qui viennent s’inscrire pour la saison à venir. Les examens et auditions occupent toutes les salles d’où transpirent des voix et des traits instrumentaux de toutes sortes. Nous cherchons et essayons quelques espaces  laissés vacants, en espérant le silence dans les couloirs, dans les rues proches… Mais rien ne se prête à mes exigences et je m’apprête à renoncer à l’usage du micro et de l’objectif, pour n’avoir recours qu’à ma seule écoute… En désespoir de cause nous tentons de réaliser les enregistrements dans le petit bureau du professeur dont l’acoustique est proche de celle d’un placard… 

La première prise est interrompue brutalement par l’irruption d’un gardien qui entre sans frapper pour nous annoncer que la direction de l’Université, informée de ma présence, met à notre disposition un véritable studio d’enregistrement, isolé, insonorisé, lourdement équipé.

Débute alors une trop courte séance d’émerveillement. Sans échauffements, Tsevegsuren aligne  des perles musicales, avec le souci de me présenter successivement tous ses instruments, du plus grand au plus petit.

Le premier morceau, “4tsag” est un “Chant Long”, ce qui d’emblée signifie que la pièce est issue ou inspirée du répertoire traditionnel vocal. Rien d’étonnant à cela lorsque l’on sait que la musique mongole est avant faite de chants et de mélodies. 

Le “Chant Long”, par opposition au “Chant Court” dont le répertoire est constitué de chansons,  possède cette caractéristique de s’attacher davantage à une technique vocale qu’à une mélodie à proprement parler. On apprécie le Chant Long dans la manière dont il est ornementé. Et ici, la flûte s’attache précisément à une ornementation poussée à l’extrême. Mais ce qui me fascine dans un premier temps, c’est la respiration circulaire, ou continue. On connait bien ces techniques en Europe depuis de nombreuses années maintenant, mais surtout appliquées à des instruments à anches comme le saxophone ou la clarinette .

Ici, pour la première fois, je l’entends pratiqué sur le Limbe avec une parfaite maitrise et une grande aisance. Il me semble que, pendant plus de trois minutes, notre ami n’inspire plus. Le temps musical, qui est souvent rythmé par l’alternance entre inspirations et expirations se trouve pour ainsi dire suspendu! Et cela autorise une mélodie elle-même continue, alignant mille variations sur l’art d’attaquer une note, de la glisser, de la piquer, de la lier, de la détacher, de la répéter. Me voici face à l’un des mystères du chant de l’Alouette : une séquence musicale ininterrompue constituée d’une multitude de motifs courts enchaînés à toute allure! Jusque là, je croyais que seul un oiseau pouvait nous faire entendre de pareilles choses!

à suivre…