La musique mongole et ses chants, mais aussi la danse, les contes et les nombreuses histoires… tout cela ne pèse pas lourd ! Tout au plus quelques instruments, légers, peu encombrants, de facture robuste et quelques costumes qui se rangent au fond d’un coffre que l’on charge facilement sur le chameau…

En fin de compte, voilà la véritable raison d’être de cet “arte povera”, véritablement et naturellement pauvre.

La Mongolie ne s’illustre pas pour l’originalité ou la qualité de son patrimoine architectural. Ce n’est pas le pays de la peinture raffinée, ni de la sculpture, ni même la littérature ou de l’édition. Pas moyen d’accrocher une toile au feutre de la yourte, ni même d’y installer des meubles ou une bibliothèque encombrante et lourde, alors que l’on peut tout apprendre par cœur.

Pour le nomade, la meilleure manière de ranger ou de stocker les choses c’est bien le cœur, ou encore la mémoire. Dans la mémoire, se rangent facilement les paroles, les sons et les gestes que le corps sait ressentir et concrétiser. Et cela ne pèse pas lourd ! Le plus sûr moyen d’éviter les conflits d’héritages reste la transmission, la tradition, ce que précisément les anglo-saxons nomment “Heritage”.

Garder vivant le souvenir et le porter toujours avec soi, en soi, seul ou collectivement, le mettre en œuvre quand le besoin s’en fait sentir, tout simplement.

Cliquez sur la photo pour écouter le chant naturel et gratuit de la steppe.

Dans son “Discours sur rien”, John Cage m’affirme que “nous ne possédons rien”, et que “notre joie est précisément de ne rien posséder”… qu’enfin, “toute chose est une joie puisqu’on ne la possède pas”. Saint François lui aussi, en son temps, dans les mêmes termes, le disait à qui voulait l’entendre… Exercice difficile pour un occidental ! Et pourtant…

Le nomade ne possède rien de matériel mais possède son répertoire “immatériel”. Il met en œuvre ces pratiques qui chantent la steppe, la nature et ses espaces ou encore la gloire de ses héros. C’est en les chantant, en les vivant, qu’il possède ces grands espaces sans clôtures. C’est en les parcourant qu’il les possède et les mesure avec ses jambes et le pas des troupeaux. C’est en remplissant l’espace de sa propre voix qu’il marque son territoire à la manière des oiseaux.

Ce qui se stocke dans le cœur ou dans l’esprit, dans une mémoire vivante, vit à son tour. Les supports morts que sont les matériaux lourds ou le papier fixent et figent les choses et les idées de manière souvent définitive. Les mémoires vives vivent et permettent le foisonnement des déclinaisons, des variations et des représentations. D’une extrême pauvreté nait la richesse et l’opulence. Ainsi les contes et les musiques ne sont jamais les mêmes alors que l’on pensait les connaître par cœur et les posséder ! Mais il ne s’agit pas du même “par cœur”. Et de ce fait, nous voilà prêts à entendre, pour la nième fois la même élégie à la gloire de Gengis Khan, la même ode à la grâce d’un simple lever de soleil, la même histoire du Chameau et du Cerf, les mêmes Contes de la Terre du Ciel Bleu.

Cliquez sur la photo pour écouter un extrait des “Contes de la Terre du Ciel Bleu” par Bayarbaatar Davaasuren et Chinbat Baasankhuu.

Mais attention, pas d’angélisme ! Sur la steppe comme ailleurs veille un matérialisme moderne et conquérent à l’esprit terriblement revanchard !