« Vous verrez que Paul Klee est le meilleur professeur de composition” disait Karlheinz Stockhausen à Pierre Boulez en lui offrant Das bildnerische Denken (La Pensée créatrice)”.

Je ne savais pas tout cela lorsque je tombais, un jour, par hasard, sur “l’Histoire Naturelle Infinie” qui devait me fournir le titre de l’une des versions particulières des Fractals. A la lecture des écrits de Paul Klee, largement illustrés, je découvrais les vastes territoires de l’abstraction en musique, et d’une certaine manière, ce que nous appelons “musique pure”.

Jeune compositeur encore à la recherche de son identité, je trouvais là, parfaitement rédigées, toutes mes aspirations sonores et musicales. L’expression de toutes ces intuitions non verbalisées et encore peu définies : la musique comme surface de temps, les équilibres fragiles, les espaces et les profondeurs de champs mais aussi toute une philosophie de l’action artistique.

Au hasard d’une tourne de page je trouvais par exemple :

Au commencement se situe inévitablement l’action, mais au dessus d’elle, il y a l’idée. Et de même que l’infini n’a pas de début précis, mais qu’il est comme le cercle sans début ni fin, de même la primauté de l’idée doit faire loi. “ au commencement était le Verbe”.

A la lecture de Klee, je gagnais du temps !

Tout cela me conduisit au Centre Pompidou, un matin d’octobre 1986, alors que je séjournais à la Maison de Radio France, dans les studios du GRM. Une grande exposition Paul Klee venait de voir le jour, et je faisais partie des premiers visiteurs. Je vérifiais avec les yeux ce que mes oreilles voulaient entendre, et que j’avais découvert dans les livres ; le choc m’était bénéfique.

. Poussé par l’enthousiasme, je m’adressais à la première personne en vue:

– C’est vachement bien !

– Vous pensez ?

– Tout musicien devrait voir ce travail.

– Êtes-vous musicien ?

– … j’essaie…

La première personne en vue était commissaire de l’exposition ! Et le reste de la matinée se passa en discussion autour de cette fameuse relation unissant Paul Klee à la musique. Elle me demanda si je voulais bien écrire un article sur toutes ces questions pour le journal du Centre Pompidou. J’acquiesçais et, surtout, osais proposer :

– Et pourquoi ne pas faire un concert, ici, au milieu des toiles et des dessins, pour illustrer toutes ces idées.

– Bien sûr, cela m’est venu à l’esprit, et j’ai posé la question aux musiciens de l’Ircam. Ils m’ont répondu que peu de compositeurs se sont clairement référés à Paul Klee.

– Je ne comprends pas ! Pourquoi vous ont-ils répondu cela ? Moi, je vous en trouve dix avant ce soir !

– On aurait pu organiser un concert Webern par exemple, avec des contemporains de Klee, mais des compositeurs actuels se référant à lui, il n’y en a apparemment pas.

–  A l’Ircam, je ne sais pas. Ceux que je connais sont tous des concrets, des perceptifs, comme Klee.

– Histoire d’école ?

– Peut-être…

C’est ainsi que se monta, en un temps record, un concert associant la Grande polyphonie de François Bayle et Harpia harpiana de Jean Yves Bosseur à mes Fractals portant tous, en exergue, une citation de Klee. J’avais l’immense privilège de jouer sur un acousmonium de qualité, au milieu des œuvres du maître, en compagnie d’un autre maître, devant un public nombreux.

Après le concert, nous nous retrouvions, la commissaire de l’exposition, François Bayle et moi-même, dans un petit restaurant du quartier Beaubourg. J’évoquais cette curieuse réponse faite par l’Ircam qui, à mes yeux, avait raté une belle opportunité de se faire entendre.

« Mais dites- moi s’il vous plait Monsieur Bayle, qu’est ce qui vous différencie tant de vos amis de l’Ircam ? » Avec beaucoup d’attention et le doux sourire un peu malicieux qui lui est familier, François répondit: « Vous savez, à l’Ircam, il y a des gens sérieux, et ce sont tous des musiciens, de vrais musiciens… Nous, au GRM, nous aimons trop le son… »

Bien des années plus tard, me voici de retour à Beaubourg.

Mon interêt grandissant pour l’observation du son naturel m’a poussé, au fil des années, à enregistrer de plus en plus les sons “dans la nature”, jusqu’à devenir audionaturaliste et à m’approprier, dans ma musique, les richesses sonores et musicales que nous offrent les oiseaux. J’ai continuellement creusé et développé cette pensée qui m’avait conduit à composer les Fractals, jusqu’aux Compositions ornithologiques (1996) qui relèvent pour moi des mêmes logiques musicales, des mêmes règles d’écriture, pour prolonger l’expérience, plus récemment encore, avec Palenque, Suite Fractale (commande GRM-INA, 2008).

Et voici que le 21 novembre dernier… Vinciane Despret, invitée intellectuelle du Centre Pompidou en 2021-2022, m’invite, ainsi que le compositeur Robin Meier, à une réflexion sur les espèces vivantes qui nous entourent, qui vivent avec nous.

À l’occasion de cette soirée, organisée en partenariat avec l’Ircam (Institut de recherche et de coordination acoustique/musique), la philosophe Vinciane Despret et le musicologue Nicolas Donin proposent à un public très nombreux, une séance d’écoute et de performance à partir des sons du vivant.

« Les compositeurs Robin Meier et Bernard Fort partagent avec le public leur cuisine concrète et lui donnent à entendre les stridulations des fourmis, l’exaltation de l’alouette des champs, ou le soliloque tout en babil de la mésange. »

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