Cet après-midi, j’ai un rendez-vous pour une séance d’enregistrements et le tournage de petits films consacrés à un instrument de la musique mongole : le Yotchin. L’Université des Arts d’Oulan-Bator (en mongol : Улаанбаатар, Ulaanbaatar, « Héros rouge »), dans sa section musique, est un peu notre Conservatoire Supérieur. Le bâtiment de style imposant et très officiel regorge de talents et je vais y faire la connaissance de Dagva Lhagvasuren l’un des grands interprètes du répertoire de cet instrument.

Le Yotchin est un instrument à cordes frappées (et à ce titre nous pouvons le rapprocher du piano) mais sa famille, en Orient, est celle des cithares sur table. C’est un instrument soliste, d’accompagnement mais aussi de musique d’ensemble, comme nous le voyons sur ce plan de l’orchestre affiché dans la salle de répétition de l’orchestre du Théâtre National des Arts Traditionnels.

Le Yochin possède une caisse de résonance trapézoïdale. Les chevilles permettant de l’accorder se situent sur les côtés de l’instrument qui possède un très grand nombre de cordes (jusqu’à̀ 242) frappées manuellement au moyen de petits marteaux très légers.

Le Yochin se caractérise par la variété́ des chevalets et la position des fixations des cordes et des chevilles.

Le Yotchin est nommé Yangqin par les chinois, et nous le trouvons, sous des formes quasi identiques en Corée, Thaïlande, Laos, Cambodge, Viêt-Nam, Ouzbékistan… De même il est apparenté au Santur qui, lui, nous vient de Perse (Iran), et dans le même temps, il est très proche du Tympanon médiéval européen (dont certains pensent qu’il en est l’origine) ou des Cymbalums encore joués de nos jours dans les Balkans.

Mais à cela rien de très étonnant.

Quand on lit les récits de voyages d’explorateurs ou d’ambassadeurs de l’Occident vers l’Orient, de Guillaume de Rubrouck jusqu’à Marco Polo par exemple, tous deux au 13ème siècle, toutes les évocations de l’ancienne capitale mongole Karakorum, nous décrivent une ville cosmopolite au cœur de laquelle de nombreuses langues sont parlées, du turc au chinois, du français à l’italien en passant par l’allemand. Le Grand Khan lui-même manifestait un vif intérêt pour toutes ces sociétés, leurs religions, leurs diverses pratiques artistiques et importait de nombreux objets qui lentement entraient dans la culture mongole en construction.

Dans les siècles qui suivirent, la Mongolie adopta une culture beaucoup plus “immobile” et devint le pays le plus respectueux de la conservation des patrimoines et des traditions. Si, partout dans le monde, de nombreux instruments ont évolué avec le temps, la Mongolie entretenait précieusement le fruit de ses conquêtes.

Des caractéristiques bien particulières :

Accorder le Yotchin n’est pas chose facile ! Plus de 240 cordes (en chœurs de 3 ou 4 comme cela se fait aussi sur le piano) sont fixées avec une forte tension sur un cadre de bois et les chevalets sont mobiles ! Les chevilles sont actionnées au moyen d’un clé.

Jouer plusieurs cordes en même temps (jusqu’à 4 cordes pour une seule note) offre une grande richesse de résonance accentuée par l’absence d’étouffoirs comme il en existe sur le piano. Ainsi rien n’arrête la vibration de la corde qui résonne comme une cloche, souvent longuement (jusqu’à 20 secondes). Il se produit alors une forme de halo harmonique dans laquelle entrent les notes au fur et à mesure de l’évolution de la mélodie. Dans certains cas cela peut donner un résultat confus si un trop grand nombre de notes proches les unes des autres s’additionnent.

Les chœurs de trois ou quatre cordes accordées à l’unisson permettent aussi une amplification du son et des échanges de vibrations entre-elles, par sympathie, principalement avec celles placées à l’octave inférieure ou supérieure.

Toutes ces caractéristiques acoustiques en font un instrument très adapté à la musique modale. L’effet polyphonique est riche et l’on a l’impression d’entendre plusieurs instruments en même temps lorsqu’il est joué, du fait de la rapidité de succession des notes « toutes faites » ne nécessitant pas une préparation par un placement des doigts.

Dagva Lhagvasuren me reçoit avec le sourire et m’invite dans un petit studio de travail parfaitement insonorisé. Il lui faut, tout d’abord, un petit moment pour vérifier l’accord de l’instrument, ce qu’il fait avec une exigence et une concentration toutes particulières. Pendant ce temps, j’installe micros et caméra. Puis c’est de nouveau avec un sourire qu’il me fait comprendre qu’il est prêt et va débuter ce récital privé. J’ai à ce moment-là le sentiment de jouir d’un immense privilège … et de ne pas avoir le droit à l’erreur technique.

  Sans plus attendre, sans échauffements, le voici qui se lance dans un premier morceau d’une impressionnante virtuosité.  Et c’est le début d’un mini récital dans lequel les pièces s’enchainent, sans pauses, dans une atmosphère de joie intense…

Variations sur un chant court

Dès le début je reconnais ici une mélodie très populaire en Mongolie, souvent chantée ou jouée sur d’autres instruments.

Immédiatement après un exposé très clair du thème, Dagva Lhagvasuren nous emporte vers de nombreuses variations virtuoses, propres aux techniques de l’instrument sur un tempo plutôt vif.

A la toute fin, pour clore une cadence, un geste de la main directement sur les cordes apporte aux derniers sons un vibrato particulier fréquent sur cet instrument.

Chant de Mongolie Intérieure

C’est encore la mélodie qui prime. Le tempo est lent, mais la virtuosité reste bien présente. En effet, bien que les notes frappées sur cet instrument résonnent naturellement longtemps les valeurs longues de la mélodie sont entretenues par une répétition très serrée des notes comme cela se pratique aussi sur le Yatga (autre instrument à cordes mongol) ou encore sur notre mandoline occidentale. Je suis séduit par la capacité qu’à cet instrument à moduler les nuances donnant ainsi un caractère très expressif à mélodie.

Chant court traditionnel Mongol.

Pour clore ce micro-récital, Dagva Lhagvasuren termine avec un chant court d’une extrême virtuosité variant les nuances et les modes de frappe des cordes.

Presque tout le répertoire mongol provient des musiques vocales. Si le chant long développe la musicalité et ses développements au-delà des simples paroles, le chant court se présente comme une chanson, souvent simple de forme, un peu à la manière de notre répertoire occidental.